Film pop s’il en est, The Bohemian Rhapsody Project questionne un matériau bien connu – un tube mondial de Queen – en le confrontant à son propre reflet.
De quoi s’agit-il ? Rejouer une chanson, non au motif – musical – de la reprise, mais la rejouer au sens théâtral du terme, s’emparer des paroles et les mettre en situation, tout en restant obstinément fidèle à la lettre de ladite chanson. Bohemian Rhapsody, donc, chanson très scénarisée, déjà théâtrale (telle une jumelle anglo-saxonne et boursouflée du tragique Bal des Laze de Michel Polnareff) se prête naturellement à la mise en scène. Entre karaoké, happening et hommage sincère, le film de Tzu Nyen Ho opère un glissement rappelant dans ses marges l’expérience de Resnais pour On connaît la chanson, tout en la prolongeant sur la durée d’un morceau-fleuve. Mais quand Resnais ne faisait que citer et sampler, en appelant – avant la mode télévisuelle – au réflexe blind-test du spectateur amateur de chansons populaires, le cinéaste singapourien creuse en profondeur dans les ramifications d’un morceau dont le mauvais goût assumé se prête idéalement à pareil sacrilège.
The Bohemian Rhapsody Project ne dérogeant jamais à la structure et au minutage du morceau, multiplie les inventions jubilatoires (l’intro au piano remplacée par une sonnerie de téléphone portable, le chœur antique de jeunes filles diaphanes), met à plat le texte et révèle, dans cette mise à nu, la fragilité de la pop song. Débarrassées des arrangements virtuoses, de la grandiloquence de Freddie Mercury, de la mélodie même le plus souvent, les paroles, jouées et récitées, prêtent à sourire. On le pressentait (Queen jonglant à satiété avec le grotesque hugolien), le film en fait la démonstration. Tourné dans les locaux de la cour suprême de Singapour, le voici faisant défiler les condamnés, leurs proches, les juges et les bourreaux, tous acteurs/chanteurs de la mini-tragédie polyphonique. Aux quatre voix du groupe de rock se superposant sur les pistes de la console de mixage répond ici, assez logiquement, l’arbitraire multiplication des interprètes pour le rôle du condamné. À cette histoire individuelle que chante Mercury, le film octroie, par ce subterfuge, une valeur collective, universelle, inattendue…
Découle de cette farce, pour qui connaît par cœur ces paroles, une sensation étrange tout autant que jouissive.
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Le film est visible sur le dvd n°8 de "La petite collection" édité par le magazine Bref (voir ici)
Un extrait du film est à savourer par là...
Quant à The Cosmos Rocks (ce titre !) de Queen & Paul Rodgers, c'est un disque à fuir comme la peste, même par ceux qui, comme moi, tiennent Queen II, Jazz et Shear Heart Attack pour d'authentiques chefs d'œuvres.