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Non, Mathieu

Publié le 10 septembre 2008 par Unepageparjour
Non, Mathieu ! C’est techniquement impossible ! N’insiste pas, s’il te plait ! Fleur avait déjà tapé à la porte. Elle m’avait déjà choisi. Noël n’y pouvait rien. Oui, nous avons passé une magnifique soirée, toi et moi, mais cela ne change rien à l’affaire. Fleur et moi, nous nous connaissions déjà ! Mais çà, je ne pouvais pas te le dire, n’est-ce pas ? Ta rationalité à toute épreuve t’aurait rendu hermétique à l’incongruité de cette annonce. Alors je ne te l’ai pas dit. Et voilà pourquoi je suis parti, dès le lendemain, dès que l’alcool que nous avions ingurgité m’a laissé les idées un peu plus claires. Oh, je sais, ce n’est pas médicalement très correct de se prendre une biture avec un bébé dans le ventre. Mais là où je partais, je savais aussi trouver les mains qui guérissent, les chants qui soignent, et les histoires qui rendent heureuses les mères. Dès le lendemain, je suis parti en Italie, dans cette vieille province oubliée du Frioul, perdue au milieu des montagnes de nulle part. Ce fut un long voyage, en train, autocar, taxi, un peu à pied, et même une partie à dos d’âne. Il faisait froid, malgré le poncho de laine qui m’emmitouflait. Mais je ne sentais pas le froid, car je savais trouver ce que j’attendais avec cette si vive impatience, trouver ma vieille famille perdue, mes grands-mères, arrières grands-mères, tantes, grandes tantes, qui sauraient me conduire jusqu’à la maternité. Oh, bien sûr, le premier jour, je ne les comprenais pas, toutes ces vieilles femmes un peu revêches, qui me parlaient en langue frioulane. J’avais pris un vieux dictionnaire, mais cela ne suffisait pas. Alors, j’ai fermé les yeux, et je me suis laissée porter par elles, complètement confiante dans leur expérience. Je savais que ces neuf mois de grossesse seraient les plus heureux de ma vie, mais je savais aussi qu’en suivant leur recommandation, la suite ne serait pas terrible, et que ma transformation en mère m’emmènerait le plus grand des bonheur. Tu vois, toutes ces femmes malheureuses à leur maternité, qui versent des torrents de larmes, quand tout autour d’eux les pères roulent les mécaniques ou courent à toute jambes de peur de grandir trop vite, quand les grands-pères sont aux anges et deviennent gâteux, quand les copains et les frères s’amusent à jouer avec le nouveau-né. Seules les mères ne disent rien, car elles savent que le suite sera terrible. Mais elles se taisent, de peur de revivre leur propre angoisse. J’ai refusé tout cela, Mathieu. Je me suis enfui du malheur d’être mère. J’ai quitté cette ville, pour donner à Fleur et me donner à moi la meilleure chance de survivre à ce monde stérile. Alors je suis parti retrouver mes anciennes mères, pour qu’elles me maternent, qu’elles me bercent, qu’elles me cajolent, qu’elles s’occupent de moi, que je sois le centre du monde, qu’autour de moi, leur expertise me rassure, me console.

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