Alors, d’autres femmes entrèrent. Certaines en noires, mais beaucoup portaient des couleurs vives, des rouges flamboyant, des blancs étincelant, de l’orangé plein de vie, du bleu lumineux comme le ciel, des matières chatoyantes, des écharpes de soie peinte. Elles étaient douze, quinze peut-être, à s’embrasser, à m’embrasser, à porter les mains sur mon ventre encore bien plat, à papoter avec la vieille Maria-Angelica, à tourner dans les casseroles, à mettre la table et le couvert, à chercher des serviettes, à ouvrir les placards, couper le pain ...
Je m’étourdissais de les voir, émue au sein de cette ruche tourbillonnante, des leurs phrasés chantant, dont je comprenais parfois un mot. Du vin. De l’eau. Le pain. Des mots simples et essentiels. Les mots qui portent vie, qui venaient peu à peu nourrir mon cœur. Comme l’ouverture de mon âme à la future mère que je m’apprêtais à devenir, dans une très joyeuse sérénité.
Ce repas fut un délice. Tu vois, Mathieu, ajouta Marie sur le ton de la confidence intime, ce repas, je le savoure encore. Chaque jour qui vient, mes narines respirent avec joie les senteurs de thym et de romarin, le lard grillé, les légumes dorés au feu de la cheminée... cette ambiance de fête, si naturelle, alors que combien de fois, je me suis ennuyée à mourir à ces soirées qui n’en finissent plus, pleines de bruits et de fureurs inutiles, ses fausses fêtes sans joie, tristes, grises, sans lumière.
Oui, un repas de fête, pour m’accueillir, moi qui venait de si loin pour revenir au troupeau, pour retrouver ces lois du temps qui passent sans trembler. Je n’étais pas l’étrangère, juste la petite fille à peine égarée, à qui elles allaient apprendre le chemin de vie, le chemin de naissance, celui que l’on doit prendre, pas après pas, doucement, pour mettre au monde l’humanité, pour donner à celle qui m’avait choisi le confort, l’aisance nécessaire, en reconnaissance de son choix.