Tenter de dresser un panthéon flamboyant des plus grandes œuvres du rock américain semblait tout d’un coup relever de l’entreprise à haut risque, pensais-je en écrasant ma plume dans le cendrier de mon inspiration, posé là, sur le bureau imaginaire de mon cerveau blogué sur les 60s. Pari risqué pour qui ne maîtriserait pas ses classiques. Tel n’était bien sûr pas mon cas. Je cherchais juste un début, un prétexte me direz-vous, non ; un angle. Il était pourtant simple : arriver à me faire haïr. Car l’homme de parti pris est toujours détesté. On le méprise autant qu’on l’envie. Parce qu’au moment même où il entame sa chronique, il prétend résumer avec véhémence 50 ans de révolte juvénile en un texte, brûlot fondateur et ultime, écrémant dans ses colonnes la substance même d’un genre éternel, intemporel, impossible à expurger ; exercice vain frisant donc le crime de lèse majesté au regard de ces générations de crétins infamants qui ont toujours pensé qu’il était plus avisé d’aborder cette matière musicale dans son ensemble. Pourtant je suis geek et en bon nerd absolu, je ne peux me résoudre à choisir, toute forme de musique enregistrée entre 1966 et 1975 étant bonne à prendre, écouter, retourner dans sa tête, oui, tout est bon par principe car je suis un homme de principe, même et surtout s’ils sont stupides. Et pourtant, coupes franches il y eut. J’entends déjà les admonestations, « Oui mais non, tu as oublié Les ou encore The ». En effet, qui aurait l’audace d’affirmer avec flegme « voici le meilleur du rock US et au diable, les restes, les autres, le rebus, merde, assumons un choix » ? Mais qui je vous le demande ? Moi, écrivais-je alors en un mot, comme un point final au prologue qui venait de s’écouler en encre dorée. Des mots dans le marbre inflexible de ma Pensée. Prétention ? Bien sûr et heureusement. J’aime les articles à thèses peut-être parce que personne ne les lit et j’en viens au point crucial, cette indifférence générale et générée qui est le sésame tant convoitée de l’audace journalistique. Ah oui autre détail important, je commencerai cette exhumation fumeuse en procédant par année de parution, ce qui permettra de mettre en regard, dans une perspective totalement mégalomane et poétique, des albums qui non parfois aucun lien.
La musique défile alors comme une bobine que le diamant dénouerait de façon lente mais consciencieuse. Le vinyle craque, moi aussi, mon choix est fait, tout est posé, pesé, les arguments prêts à être patiemment consignés dans cette joyeuse tribune. Le rock est né, aussi loin que remonte ma mémoire, le rock est né donc le jour où Bob Dylan électrifia sa guitare et son folk par la même occasion. Pourquoi ne pas dater la naissance du rock US à l’époque des premiers tubes de Chuck Berry, Bo Diddley ou encore Carl Perkins ? Bien sûr ces premiers pionniers méritent leur citation, mais attention, les albums que je retiendrai ont tous un point commun : ils appartiennent à la lignée des Sixties et répondent ainsi à une logique, celle d’une création homogène, l’album donc. Nous sommes loin des critères du 45 tours, très en vogue pendant la décennie précédente. Je disais donc, la guitare électrifiée de Dylan a chamboulé pas mal de choses, à commencer par les conventions. Les folkeux intellos ont failli s’en étouffer. Bob les enterra alors avec 61 Highway Revisited, paru en 1965. Like a rolling stone ouvre le bal, , de l’autre côté de l’Atlantique, d’autres petites têtes blondes s’en souviendront au point de faire de ce titre le nom d’une des plus grandes formations du rock… Anglais. Revenons à Dylan, l’album déroule ses minutes, précieuses, on en arrive au morceau éponyme, un blues de fête foraine rock, un truc incroyable, jouissif, emmené par les claviers scintillants d’Al Kooper. Ne nous contentons pas d’un seul exemple, Ballad of A Thin Man est à mon sens l’un des nombreux joyaux qui font de 61 Highway revisited un chef d’œuvre immortel. Disons-le. Dylan posa les bases.
La semaine prochaine : Here are The Sonics