Etes-vous fans de crustacés ? Savez-vous goûté les fruits de mer, le beau tourteau, l'épineuse rascasse ? Attendez-vous avec une frénésie non dissimulée les labellisées moules de Bouchot, qui se dandinent dans les brasseries en attendant la mousse de bière ? Choisissez-vous les très chics noix de Saint-Jacques, uniquement fraîches, car pour vous comme pour moi les surgelées sont une calamité ? Et les visqueux bulots, les praires, les coquines coques, et leurs cousines les palourdes, les dodues crevettes roses ou encore les grises apéritives, sans pouvoir vous passer de couteaux ? Il m’aura quand même fallu attendre 28 années de vie et un bébé pour apprécier dignement une de mes plus belles découvertes gustatives de ces … dernières années. J’ai nommé : les huîtres ! Si ces arthropodes étaient légion sur les tables au moment des fêtes de Noël, il ne m’aura jamais été possible de les y apprécier à leur juste valeur, compte tenu de l’éloignement kilométrique alors en vigueur qui suffisait seul à m’éloigner itou du plateau marin des belles Marennes. A cette époque, je vivais en Franche-Comté et pour moi les fruits de mer doivent éviter des transports inconsidérés. Depuis Tours, leur dégustation me semble nettement plus rationnelle.
Par contre, consommons-les chaque mois en -bre, comme dit le proverbe. Ainsi, c'est avec un bonheur inégalé que je vois les ostréiculteurs reprendrent leurs stands sur les marchés. Et, même que, dorénavant, le dimanche matin, au marché de mon quartier, je les aime toutes, de calibre modeste au plus imposant, les n° 3, les n°4, les n°5, les grasses, les maigres, les petites, je contemple les cagettes en plastique aux différentes couleurs et admire l’ostréiculteur qui mes les sert, « treize à la douzaine ».
Et je ne peux pas me retenir de citer ici une phrase d’Ali-Bab* qui sied particulièrement à mon goût nouveau pour les huîtres : « Enlevez-la délicatement de sa coquille, portez-la immédiatement à la bouche, toute nue, sans aucun accompagnement […] avalez lentement le jus […] Tonifiez-vous alors avec une gorgée de bon vin blanc […] pour être en état d’apprécier intégralement l’huître suivante ». Après quelques accommodements version cuites, assaisonnées, j'en ai fait mon mode de dégustation favori.
In fine, j’expose plusieurs hypothèses concernant l’évolution de mon palais : primo, pendant une grossesse tous les changements physiologiques mis en place peuvent se prolonger post-partum. Deuzio : ici (dans la région centre et l’Ouest), les huîtres sont extra fraîches, d’où l’inhibition absolue de mon dégoût vis-à-vis des mollusques. Tertio : selon une théorie populaire, le palais et les papilles gustatives sont soumis à des cycles évoluant tous les sept ans. Si mes capacités en calcul mental n'attendent pas Mr. Kawashima pour progresser, je peux affirmer que 28 est bien un multiple de 7. Et l'âge de mes artères. Mouais, cette conclusion ne me séduit qu’à demi. Autant dire que je gagne en sagesse et que je suis moins sectaire.
*Henri Babinski (1855-1931) médecin et auteur de la Gastronomie Pratique (1928), nombreuses rééditions depuis.
Cliché : Jiji, le chat de Kiki la Petite Sorcière, oeuvre d'Hayao Miyazaki.