Tout d’abord, ne boudons pas notre plaisir : le fait que ce débat ait pu se tenir est déjà, en soi, une bonne chose. Le résultat ne faisait guère de doute, non plus que la teneur des différentes interventions n’a suscité de réelles surprises, mais il était temps, sans doute, que les élus du peuple se saisissent de ces questions.
Alors, bien sûr, en fonction de ses affinités et opinions, on pourra trouver que tel ou tel a été meilleur qu’un autre. Mais là n’est pas le plus important : l’essentiel c’est que la représentation nationale a solennellement et démocratiquement voté pour le maintien de l’intervention des troupes françaises en Afghanistan.
Et ce vote implique certaines conséquences qu’il nous faut maintenant assumer. Lorsque je dis « nous », je parle des politiques au premier chef, mais pas uniquement. La France a choisi de faire la guerre, quand bien même l’emploi de ce terme, juridiquement sensible, fut refusé. Cette guerre doit être désormais menée comme il faut, avec les moyens qu’il faut sur le terrain et le soutien, ou au minimum la neutralité, de l’arrière sans lesquels ce vote n’aura été qu’une démonstration velléitaire sans intérêt et cette guerre, un long combat voué à être perdu. Le Parlement a voulu acquérir et exercer de nouveaux pouvoirs, et c’est une bonne chose à condition qu’il fasse preuve de constance dans l’effort.
Bref, le vote c’est bien, les moyens c’est mieux…
Pour ce qui est des citoyens, et des canaux qui les informent, ils ne doivent pas se croire déchargés d’une certaine responsabilité dans ce processus qui s’enclenche à une vitesse supérieure.
Aux seconds d’effectuer le difficile travail d’information sans sombrer dans les excès qui accompagnent hélas toutes les guerres ; quant aux premiers, les citoyens, ils se doivent de recevoir avec circonspection les éléments parfois rapportés sans précautions, tout comme ils doivent aussi le soutien à nos troupes ce qui n’exclue pas, le cas échéant, la critique à l’égard de ceux qui les envoient et la manière dont ils le font.
- La question des moyens :
Des moyens supplémentaires ont donc d’ores et déjà été promis, avec un certain flou artistique, il faut bien le reconnaître : on parle ainsi de mortiers de 120, de drones (de quelles classes ?), d’hélicoptères Caracal et Gazelle (Viviane et/ou Canon, je n’ai pas encore trop bien saisi), de moyens de guerre électronique (lesquels ?). Le tout devant représenter une centaine d’hommes.
C’est un début mais, disons-le tout net, cela semble clairement insuffisant en l’état.
Et l’artillerie lourde ? Les obusiers de 155mm, AUF-1, TRF-1, voire même Caesar, ils sont indisponibles ? Sauf erreur de ma part, ces matériels ont une portée, une précision et une puissance de feu sans commune mesure avec tout ce que les taliban peuvent leur opposer. Pourquoi ne pas déployer quelques batteries dans les FOB et les tenir prêtes à appuyer immédiatement nos hommes, au cas où ? L’artillerie sol-sol, même si elle nécessite un train logistique conséquent, est à même de fournir des feux puissants, rapides, efficaces et meilleurs marchés que ceux proposés par l’aviation tactique. Tous les autres contingents déployés dans des régions « chaudes » utilisent ce type de matériels… Mais pas la France ?
Les hélicoptères Caracal, très bien, ils ont prouvé leur utilité à Uzbeen… lorsqu’on s’est rendu soudain compte qu’ils étaient plus utiles sur les zones de combat qu’à assurer la protection du président afghan. Pour les appareils d’appui-feu, là aussi, très bonne idée : le tandem Viviane-HOT et Gazelle canon a déjà montré son savoir-faire. Mais il s’agit d’appareils non blindés et qui vont beaucoup souffrir des conditions de vol propres au milieu montagneux. Les Tigre, bien blindés, bien armés, mais chers à déployer et à entretenir ? En métropole, à l’instruction…
Les drones ? Parfait, là aussi. Mais lesquels ? Joseph, bien plus calé que moi sur ces questions comme sur d’autres, a déjà exprimé un point de vue que je partage entièrement.
Les moyens de guerre électronique ? Super ! Au fait, les radars de contre-batterie Cobra, cela compte dans la « guerre électronique » ? Parce qu’ils seraient bien utiles, associés à des canons de 155, pour faire taire les mortiers adverses…
Bref, tout cela est bel et bon. Cela prouve hélas, soit dit en passant, que nos soldats sur place ne disposaient pas auparavant de tout le matériel indispensable à l’accomplissement de leur mission. Un constat regrettable.
Pour autant, et en plus de ce qui est mentionné plus haut, un oubli mérite d’être mentionné : pardon d’être grossier, mais l’infanterie dans tout cela ? Parce que repérer le Taleb, c’est bien ; lui faire dégringoler de la ferraille sur la tête, c’est très bien. Mais, pour la contre-insurrection, une forme de guerre où les effets cinétiques ne sont pas suffisants (et doivent être employés à 20% du total seulement, nous dit Galula), les hommes à pied, il n’y a pas mieux…
Alors, bien sûr, la « centaine d’hommes » annoncée, en particulier si l’on ne fait pas un gros effort de réflexion quant à l’emploi des forces dans ces contrées, ne suffiront probablement pas à renverser de manière décisive la situation. Espérons que nos alliés y mettront aussi du leur.
On ne peut s’empêcher, néanmoins, de se demander si la France, à force de vouloir intervenir partout et à tout bout de champ, tout en réduisant sérieusement son effort budgétaire en matière de Défense, n’est pas en train d’aller à contre-courant et de l’histoire et de ses propres intérêts. Ce n’est qu’une observation, mais peut-être serait-il sage de revoir certains de nos déploiements extérieurs actuels dont l’utilité et l’efficacité ne sautent pas immédiatement aux yeux.
-La question du soutien de l’arrière :
Alors là, cuidado, comme on dit chez moi… Le terrain est sensible et mieux vaut marcher sur des œufs sous peine de se faire jeter des pavés. Par exemple, oser critiquer la sacro-sainte liberté de la presse ou, pour être plus précis, oser émettre des doutes sur l’usage que font certains de cette liberté fondamentale, vous expose aux pires soupçons.
Vous n’êtes pas certain de la nécessité de diffuser certaines « informations » (qui relèvent en fait de la propagande) émanant du camp adverse ? Vous voilà catalogué odieux pourfendeur des libertés civiles… Vous trouvez que certains organes de presse font du sensationnalisme en exploitant les rumeurs les plus sordides émanant de sources improbables ? Vous êtes en fait travaillé par des pulsions fascisantes inavouables… Vous pensez que présenter sans précautions au public certaines images et certains propos revient à diffuser du porno pendant des émissions pour la jeunesse ? Vous êtes secrètement favorable au rétablissement de la censure militaire… Vous pensez que les journalistes devraient se montrer un peu plus patriotes et soutenir davantage ceux qui se battent, somme toute, pour la liberté face à des ennemis qui ont une conception pour le moins limitative du droit à l’expression ? Attention, vous commencez à sentir le fagot…
Alors, masochiste, la presse française ? Ne soyons pas trop durs, ni ne généralisons à outrance, mais avouons qu’il y a quelque chose d’étrange à voir les mêmes nous expliquer gravement que cette guerre se perdra à l’arrière avant d’enchaîner aussi sec sur des « nouvelles » qui, objectivement, contribueront à ruiner son moral. Alors, certes, l’exemple détestable des médias US qui, avant l’invasion de l’Irak, ont diffusé d’une même voix la propagande gouvernementale la plus grossière, la plus mensongère, incite à des précautions. Mais un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Actuellement, on sent bien le pouvoir, mais on perçoit moins nettement la responsabilité…
En tout état de cause, il revient au citoyen, quelle que soit son opinion sur cette guerre par ailleurs, de maintenir en éveil son esprit critique pour tenter de percer le brouillard des informations parcellaires et diverses qui arrivent jusqu’à nous.
Mais, s’il est bien un point sur lequel nous devons tous nous retrouver, c’est sur le soutien à apporter aux femmes et aux hommes envoyés par nous au loin, au péril de leur vie. On peut critiquer ce déploiement, mais on doit le respect à ceux qui y participent.
Car la fin de la conscription et la disparition d’une menace conventionnelle immédiatement frontalière entraînent des mutations qui peuvent et doivent être pleinement comprises par l’opinion publique, ainsi que par les élus.
Ce débat était une première et modeste pierre posée sur le nouvel édifice de l’esprit de défense français confronté au défi de la professionnalisation et de la défense de l’avant. Politiques et citoyens, décideurs et acteurs, ceux qui informent comme ceux qui votent, ceux qui délèguent comme ceux qui commandent doivent unir leurs volontés pour atteindre le but commun.
Les débats continueront, des divergences apparaîtront ou s’apaiseront, mais la construction d’une nouvelle implication de tous dans la défense commune se poursuivra.
Et c’est une très bonne nouvelle.