Mercredi dernier Hamid Berrada présentateur de l'émission "mais encore" a reçu comme invité Hassan Rachik, anthropologue marocain de renom. L'émission était intitulée "Marocains, êtes-vous si compliqués ?".
De prime abord, je signale que l'émission "mais encore" est parmi les rares émissions de la nouvelle grille de 2M qui sont restées fidèles à l'esprit de cette chaine avant sa nationalisation.
Intéressée par les cultures, l'anthropologie et d'autres sciences humaines, je ne pouvais me permettre de rater ce numéro. Je dois avouer que j'ai été bien servie. Même si je suis restée sur ma faim concernant certains points.
L'émission portait sur l'enquête nationale sur les valeurs entreprise par toute une équipe dont Hassan Rachik était le rapporteur. Cette enquête a été menée en marge du rapport du cinquantenaire (50 ans de développement humain - Perspectives pour 2025). La population interviewée était de 1000 personnes représentative du Maroc (lieu de résidence, âge, sexe, niveau scolaire et profession)
Avant de parler de ce qui m'a interpelé dans cette émission, deux remarques d'ensemble :
1- j'ai trouvé Hassan Rachik complétement dans son rôle de chercheur. Très prudent et objectif. Cherchant à comprendre et à aucun moment il n'a été dans les jugements des fois trop même ! En effet, j'ai trouvé qu'il refusait de faire certaines conclusions, qui s'imposaient, même de manière provisoire.
2- découlant du premier, Hassan Rachik pour expliquer les contradictions relevées par cette enquête dit d'une part qu'il faut contextualiser et d'autre part que c'est du pragmatisme. Je ne suis pas d'accord avec cette position car l'enquête porte sur les VALEURS. Si je me réfère à la définition du mot VALEUR en sociologie, celle-ci est définie comme suit :
Les valeurs sociales représentent des manières d'être et d'agir qu'une personne ou qu'une collectivité reconnaissent comme idéal et qui rendent désirables et estimables les êtres ou les conduites auxquelles elles sont attribuées. Elles sont appelées à orienter l’action des individus dans une société, en fixant des buts, des idéaux, autrement dit, en donnant des moyens aux individus de juger de leurs actes.
Partant de cette définition, on ne peut pas dire que la "volatilité", pour ne pas dire la géométrie variable, des positions des interviewés (population censée être représentative des marocains rappelons-nous) que cette enquête a révélée peut ou doit être contextualisée. Pour ma part, dans certains cas, je parlerai d'opportunisme (parfois inconscient) et non pas de pragmatisme. Dans le sens où l'opportunisme est une attitude qui consiste à agir selon les circonstances du moment afin de les utiliser au mieux de ses intérêts et d'en tirer le meilleur parti, en faisant peu de cas des principes moraux.
Les chiffres et SURTOUT les contradictions (le mot est faible !) qui ont retenus mon attention :
- 64% des marocains se déclarent pour le dialogue entre parents et enfants. J'applaudis des deux mains. Dans un rapport inégalitaire on introduit la notion de dialogue. Mais, n'applaudissez pas trop vite ni trop fort car presque la même proportion déclarent que la femme doit obéissance à l'homme. Dans un rapport qui cette fois est CENSE être égalitaire on fait l'impasse sur celle-ci. Cherchez l'erreur. Hamid Berrada a demandé à Hassan Rachik d'expliquer cette contradiction. MAIS, il ne l'a pas laissé terminer ses phrases, je suis donc restée sur ma faim...
- dans un autre registre, plus de 60% déclarent avoir confiance dans l'avenir du pays. Et au même temps 54% déclarent vouloir quitter le Maroc quelles que soient les conditions ! Questionné sur cette contradiction, Hassan Rachik a expliqué que ce sont deux niveaux différents. Pour lui, une personne peut avoir confiance dans l'avenir du pays, toutefois, cette même personne peut estimer qu'elle n'a pas de place dans ce pays. Pour moi, cette explication ne tient pas la route. Ca aurait pu être le cas si la proportion de ceux qui veulent émigrer était de 5 ou 10%. Mais quand plus de la moitié veut émigrer tout en disant qu'elle est confiante dans l'avenir du pays. Y a un problème. J'aurais aimé que Hamid Berrad creuse ce point un peu plus. Il ne l'a pas fait. Dommage.
- 74% font la prière de manière régulière. Le pourcentage monte en flèche s'agissant du jeûne. Toutefois, plus de 70% ne connaissent pas le b.a-ba de la religion musulmane : le nombre de doctrines en Islam, les noms des premiers khalifes de l'islam, etc... Ceci explique peut être les discours et les discussions surréalistes qu'on entend ici et là et de plus en plus.
- on croyait les marocains politisés et portés sur l'action associative. Il s'avère que ce n'est point le cas. 2% seulement déclarent appartenir à un parti politique et tjrs 2% déclarent adhérer à une association.
Hassan Rachik l'a dit : cette enquête est la première de son genre. D'autres devront suivre afin de creuser plus les sujets traités et les contradictions relevées. J'espère qu'elles seront menées et les résultats publiés.
Il y a aussi cet article qui a été consacré à cette enquête par le magazine telquel.