Investir aujourd'hui en Birmanie serait une provocation, mais Total ne se retirera pas, c'est le titre d'un article du monde de ce jour :
Christophe de Margerie, directeur général de Total répond à Jean-Michel Bezat et Marie-Claude Decamps
Total exploite le champ gazier de Yadana, en Birmanie, depuis dix ans. Nicolas Sarkozy vous a demandé de geler tout nouvel investissement dans ce pays. Que comptez-vous faire ?
Nous avons entendu le message du chef de l'Etat, qui s'adressait clairement à nous. Il a cité Total en nous demandant d'être vigilants. C'est du bon sens.
Investir dans ce pays aujourd'hui, ce serait une provocation. Mais nos investissements remontent aux années 1990 et il n'y en a pas de nouveaux. On nous a demandé de plus communiquer sur nos activités, je trouve cela très bien.
Un retrait, réclamé par plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), est-il envisagé ?
Nous dialoguons avec les ONG quand elles l'acceptent, nous les écoutons, mais elles ne décident pas de ce que fait le groupe. Total ne se retirera pas.
Des ONG réclament notre départ, d'autres reconnaissent l'utilité de notre action : il y a deux ans, on nous a décerné le prix humanitaire Helen Keller.
J'ajoute que l'opposition birmane n'a pas demandé le retrait de Total lorsqu'elle a été reçue par M. Sarkozy. Pas plus que le président français et son ministre des affaires étrangères. Les récentes manifestations à Rangoon ont relancé l'attention sur la Birmanie, et encore une fois sur Total.
Nous n'avons pas attendu cette crise pour nous impliquer localement et maintenir des activités respectant notre code de conduite, qui proscrit le travail forcé. Si nous ne pouvions pas le faire respecter, oui, il y aurait un problème. Ce n'est pas le cas. Dans le passé, nous sommes intervenus lourdement auprès de la junte pour éviter les dérapages.
Votre groupe a bénéficié d'un non-lieu en France. La justice belge vient pourtant de se saisir d'une plainte de Birmans contre Total pour travail forcé…
Cela fait deux fois que la justice belge est saisie et par deux fois elle a jugé ces plaintes non recevables. Je le répète : il n'y a pas de travail forcé sur nos installations.
En 1996, la dissidente et Prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, jugeait que "Total est le plus fort soutien du régime"…
Nous sommes en 2007 ! Je suis allé en Birmanie dès ma nomination comme directeur général d'Exploration-Production, en 1999, dire aux généraux dans quelles conditions nous voulions travailler.
J'y suis allé aussi deux fois pour rencontrer Mme Suu Kyi, en 2001 et 2002. La première fois sans même la permission des autorités. Je peux vous assurer qu'Aung San Suu Kyi n'a pas non plus réclamé le départ de Total. J'ai même envisagé d'aller la voir au moment de la crise, mais je dois éviter le spectaculaire.
Yadana rapporterait 500 millions de dollars par an à l'Etat birman. N'est-ce pas un soutien indirect aux généraux ?
Alors à chaque fois que nous payons des impôts dans un pays, nous soutenons son régime et sa politique ! A travers les impôts, le pays perçoit sa part des profits du gaz. Ces impôts sont payés par Total (pour 30 %), mais aussi ses trois partenaires Chevron, PTTEP (Thaïlande) et la compagnie nationale birmane. De plus, nous avons des règles strictes en matière de transparence financière.
En témoigne notre forte implication dans l'Initiative de transparence des industries extractives, lancée en 2002 : nous nous engageons à ce que l'argent du pétrole aille bien dans les caisses de l'Etat birman, sur des comptes officiels en Birmanie.
Mais Total, pas plus que d'autres compagnies, ne peut demander au gouvernement ce qu'il fait de cet argent. Globalement, Yadana a rapporté 350 millions d'euros à l'Etat en 2006. Ces revenus seraient acquis à l'Etat birman que l'actionnaire soit Total ou une compagnie chinoise, indienne, thaïlandaise ou sud-coréenne.
Vos projets sociaux sont-ils une façon de vous "racheter" ?
Pas besoin de se "racheter"! Ils ne servent pas de justification à nos activités. Lancer des projets pétroliers sur une durée de trente ans engage notre responsabilité vis-à-vis de la société civile de ces pays.
Total consacre 118 millions d'euros aux activités sociales dans le monde (santé, éducation…). En Birmanie, nous participons à la lutte antisida et développons le microcrédit. Notre méthode et notre priorité, c'est d'être le plus local possible, même si les capitaux sont étrangers, en embauchant la majorité de notre personnel sur place.
M. Sarkozy voudrait des sanctions européennes contre l'Iran. Cela affecterait Total, qui veut investir 3 milliards de dollars dans le projet gazier Pars LNG ?
L'Iran est un pays de 65 millions d'habitants. Il a une forme de démocratie et nous avons des liens historiques avec lui. Il ne devrait pas y avoir de problème avec l'Iran en tant que nation, mais on constate un différend entre le gouvernement actuel et la communauté internationale.
L'Iran rembourse à Total ses investissements antérieurs. Il ne faudrait pas que de nouvelles sanctions l'empêchent d'honorer ses dettes.
Quant à Pars LNG, c'est un projet de gaz naturel liquéfié très important. Nous y travaillons depuis dix ans. Il faut le revoir, ses coûts ont explosé. Il est clair qu'avant de nous lancer, nous tiendrons compte du contexte politique et de la crise nucléaire. Aujourd'hui, la question ne se pose pas, le contrat n'existe pas.
Croyez-vous à une attaque des Etats-Unis contre l'Iran ?
Si on y croyait, je demanderais immédiatement le rapatriement de notre personnel.
Y a-t-il des pressions américaines pour que Total quitte l'Iran ?
Très fortes. Mais je n'en ai pas de la France. Si une entreprise comme la nôtre devait écouter ces pays qui décident qui est bon et qui est méchant, où en serait-elle ?
Le bon exemple, c'est la Libye. Nous avons subi de très fortes pressions du grand pays anglo-saxon pour que l'on quitte la Libye. Puis il a renoué avec Kadhafi et tout est redevenu normal. On n'a pas cédé, nous étions là avant, pendant et après la crise.
Aucun pays, aussi puissant soit-il, ne peut décider de façon unilatérale où une compagnie pétrolière peut investir. C'est à elle d'évaluer les risques.
Nous disons aux politiques : prenez vos responsabilités. On ne peut réclamer des cours du baril sous contrôle et, dans le même temps, pousser les pays producteurs à fermer le robinet. Ce pétrole, on est bien obligé d'aller le chercher là où il est. Ce serait plus simple s'il y en avait au Club Med !
Propos recueillis par Jean-Michel Bezat et Marie-Claude Decamps
Source : lemonde