Le questionnaire du FFC: Mikaël Hirsch

Par Fric Frac Club
Mikaël Hirsch est écrivain & libraire à Paris. OMICRoN est son premier roman. Il a eu la gentillesse de répondre à notre petit questionnaire.
Que ferez-vous lorsque plus personne ne lira de livres ?
On lira toujours des livres, mais la part réservée à la littérature dans la production éditoriale globale tendant à s'amenuiser, il n'est pas sûr qu'on lise toujours de la littérature.
Jules Verne a déjà répondu à cette question dans un court roman intitulé Paris au XXè siècle. La lecture y est vu comme une occupation répréhensible et l'écriture comme une activité coupable. Le monde qu'il décrit est finalement très semblable au nôtre.
Le cas échéant, je crois que je deviendrais coiffeur pour dames, ou chanteur d'opérette.
Le premier souvenir (ou émotion) littéraire ?
Jonathan Livingstone le goéland, de Richard Bach, lu en classe de CE2. Ensuite, Sur la route de Jack Kérouac, lu dans le train Paris-La Baule, à l'âge de quatorze ans.
Je rêvais d’aller « là-bas », non parce que les espaces lointains se nourrissent de nos rêves, mais parce que je venais de là-bas moi aussi. J’en étais intimement convaincu. Je me sentais prisonnier loin de chez moi. Il a fallu que j’y aille quelques années plus tard pour enfin comprendre. Ici n’était pas la France et là-bas n’était pas l’Amérique. Ici, c’était la réalité et là-bas, la Littérature.
J’étais adolescent. Tout le monde écrivait peu ou prou. Le journal intime me faisait alors horreur, la poésie mélancolique et les peines d’amours itou. L’idée même que la littérature pût être une phase ordinaire, une étape universelle dans le développement de chaque individu, m’inspirait un profond dégoût. C’était comme voir les objets du culte tournés en dérision par les barbares, traînés dans la boue par une foule impie. Comment être sûr alors que je ne faisais pas partie malgré moi de la majorité des fidèles qui se rend à la messe sans comprendre et sans croire ? J’étais terrorisé par l’éventualité du caprice. Pêché d’orgueil, probablement… L’abstinence était donc la voie unique. J’éprouvais mon désir, le mettais au supplice. Je n’écrivais pas une ligne, pas un seul mot, nourrissant en mon sein des volumes fantômes jusqu’à épuisement total de la concurrence. Le paradoxe était sidérant. Je devais m’empêcher d’écrire pour être véritablement écrivain, me taire pour ne pas galvauder la parole. Le silence était déjà une forme de bataille, ma palissade de pieux contre les Huns. Il me semble à présent que ce que j’ai écrit durant cette période où je n’écrivais pas est certainement ce que j’ai produit de meilleur. Je continue à m'en nourrir aujourd’hui. Tout s’est passé exactement comme prévu. À dix-huit ans, les poètes maudits sont rentrés dans le rang des classes prépa et j’ai pu enfin jeter mon bâillon aux orties. J’étais de nouveau à contre-courant. Je m’adonnais désormais à cette passion délaissée par le nombre. La mode une fois passée, devenait démodée. De ringard, j’étais soudain devenu puéril, me livrant sans retenue à d’affreux enfantillages. En définitive, je m’en foutais pas mal. C’est uniquement à grands coups dans la gueule que l’on s’affranchit du commun. Il faut ce qu’il faut !
Que lisez-vous en ce moment ?
Le rêve de Machiavel de Christophe Bataille, Le cul de Judas d'Antonio Lobo Antunes, Les Récidivistes de Laurent Nunez et Zone de Mathias Énard.
Il est rare que je lise moins de trois livres à la fois. Le fait de vivre dans trois pièces y est sans doute pour beaucoup. La lecture devient ainsi une manière d’appréhender l’espace, une trajectoire utilitaire marquée par des stations. Les ouvrages sont semés ça et là comme de petits cailloux. Heureusement, me direz-vous, que je n’habite pas dans un château, ou toute la bibliothèque devrait y passer. Certains auteurs restent ainsi marqués à tout jamais par l’ambiance du lieu où ils ont été lus. Il y a des lectures de salon, de chambre ou de bureau, à tel point que certains livres, abandonnés momentanément sur une table ou dans un recoin, doivent après un moment et de vaines tentatives, être déplacé pour être lus convenablement. Au fur et à mesure de mes pérégrinations domestiques, de mes arrêts plus ou moins prolongés, de mes égarements, les livres se mettent à discuter entre eux, à se répondre. C’est un processus inévitable. Le salon questionne la chambre qui commente le bureau. Les pièces dialoguent, les textes et les époques se mêlent. Les circonstances, le hasard, provoquent ainsi des rencontres inédites, des collisions stellaires.
Suggérez moi la lecture d'un livre dont je n'ai probablement jamais entendu parler ?
Le Dilemme du prisonnier, de William Poundstone, paru en 2003 aux éditions Cassini.
Où comment les mathématiques montrent que la meilleure solution individuelle, si elle est appliqués à tous, peut mener au pire pour tous. Une stratégie que l'on retrouve aujourd'hui aussi bien dans la course aux armements, la théorie des jeux, l'économie que la sociologie.
Le livre que vous avez lu et que vous auriez aimé écrire ?
Le Voyage au bout de la nuit.
Quel est le plus mauvais livre que vous ayez lu ?
Les Racines du mal, de Maurice Dantec.
Quel est le livre qui vous semble avoir été le mieux adapté au cinéma ?
Le temps retrouvé, par Raoul Ruiz. Une gageure incroyable, une réussite exemplaire.
Quelle est votre première phrase préférée ?
« A screaming comes across the sky. » Gravity's rainbow, Thomas Pynchon.
Écrivez-vous à la machine, avec un ordinateur ou à la main ?
Je prends des notes sur des post-it. J’en ai toujours plein les poches. Parfois, il m’arrive d’en retrouver par hasard, recroquevillés au fond d’un interstice vestimentaire, ou bien blanchis par la machine à laver. Il faut alors déchiffrer les bribes, recomposer les fragments. C’est un travail d’archéologie intime. Comme les vins de garde, certains d’entre eux vieillissent plutôt bien. Il arrive même que ces messages que je m’adresse soient en réalité destinés à l’avenir, au Moi futur. Ce sont alors de minuscules machines à voyager dans le temps. Les mots d’aujourd’hui n’ont peut-être pas de sens, mais qu’à cela ne tienne, ils finiront par signifier quelque chose lorsque j’aurai moi-même pris un peu de bouteille. Quand je manque du fameux carré jaune, je grappille alors ce qui me tombe sous la main, confettis de nappe en papier, enveloppes déchirées, cotillons, prospectus, tracts et tickets de métro usagés. Tout est bon ! Plus le support est vil et plus je m’y sens à l’aise. Les rebuts sont bien assez nobles. Ils m’offrent un peu de leur simplicité et en échange, je leur propose une seconde vie. J’amasse, je fais des tas, des monticules. J’en érige partout. Lorsque ces collines semblent être parvenues à maturité et que la gravité remplit son office, je les dépiaute sans ménagement et tente de reconstituer le puzzle. De cinq à cinq mille pièces, c’est selon ! Évidemment, on n’a pas toujours le courage de se lancer dans la carte du monde, ou le camaïeu de gris aux trois cents teintes. La plupart du temps, il faut se faire une raison et se contenter finalement de ces imbéciles de chatons Walt Disney.
Écrire est un geste qui m’a longtemps posé problème. Je ne parle pas de l’élaboration du texte lui-même qui relève d’une autre forme de difficulté, mais bien du mouvement. Relever ce défi, c’était aller contre la fébrilité, contre la tachycardie, et la nausée parfois. Bien sûr, la rédaction de la liste des courses ne s’accompagnait d’aucun malaise. C’est la fiction qui me rendait physiquement malade, ou plutôt, la simple idée de la Littérature, la transgression. À ce moment-là, j’étais écrasé par le poids de Babel, les langues mortes, le Pentateuque, la bibliothèque d’Alexandrie, la philosophie allemande. Je ne savais pas grand-chose, mais c’était déjà trop. J’aurais voulu ne rien savoir du tout. Ça n’était plus ma main qui traçait nerveusement sur le papier, mais une main coupée, momifiée, qui ne m’appartenait plus. Souvent, il fallait que je m’interrompe, que j’ouvre la fenêtre pour à nouveau respirer. La symbolique du geste était constitué de strates millénaires auxquelles je ne pouvais décemment m’identifier. J’ai tâcher de résoudre ce problème en changeant de référent iconographique. Il fallait introduire un intermédiaire, quelque chose de lourd et protecteur qui me tiendrait éloigner de la fièvre, qui dompterait la main. Je pouvais m’imaginer dans un cône de lumière jaune, frappant méthodiquement les touches d’une vieille Remington, une bouteille de bourbon en arrière-plan. Aristote, Shakespeare et Rimbaud cherchaient à me détruire avec leurs parchemins et leurs encriers acides, mais avec Chandler, tout devenait à nouveau possible. Je me suis donc mis à la machine à écrire. Aujourd’hui, l’ordinateur a depuis longtemps remplacé les rubans encreurs et le Typex. La machine a évolué, certes, mais je m’en sers toujours comme d’une prothèse textuelle.
Écrivez-vous dans le silence ou en musique ?
J'écris en prêtant attention à la musique du texte.
Qui est votre premier lecteur ?
Ma femme.
Quelle est votre passion cachée?
Enfant, je rêvais d'être écrivain-astronaute. En ce qui concerne l'astronautique, je n'ai pas encore dit mon dernier mot !
Qu'est-ce que vous n'avez jamais osé faire et que vous aimeriez faire ?
Braquer une banque.
Mikaël Hirsch, OMICRoN, Ramsay.
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Le blog de Mikaël Hirsch: OMICRoNUne chronique du livre sur La Bruyantissime