Le plateau, l’équivalent du perchoir au Sénat, est un siège doré, le second après l’Élysée dans l’ordre protocolaire de la République française. Gérard Larcher et Jean-Pierre Raffarin
se disputent la succession de Christian Poncelet.
Dans moins d’une semaine, c’est l’une des manifestations politiques les plus importantes de l’année, l’élection du dernier tiers du Sénat. Dernier, car à partir de 2011, ce sera tous les six ans
le renouvellement de la moitié.
Vraisemblablement, la cuvée 2008 verra le retour de revenants de la politique, comme Charles Millon dans l’Ain (après ses échecs lyonnais depuis
2001) ou Jean-Pierre Chevènement dans le Territoire de Belfort. Dominique Paillé, ancien député sarkozyste d’origine UDF, rattrapé comme conseiller à l’Élysée après son échec en juin 2007,
tentera sa chance pour représenter les Français de l’étranger.
Le Sénat de droite va pencher un peu plus vers sa gauche
Avec le résultat des élections municipales et cantonales de mars 2008 essentiellement favorables à la gauche (et en particulier au Parti socialiste),
il est fort probable que la gauche gagne du terrain sur le terrain sénatorial sans pour autant être en mesure d’atteindre la majorité.
En revanche, en 2011, rien ne l’en empêcherait en théorie, puisque les grands électeurs seront encore issus de mêmes élections municipales qu’en
2008, ce qui démentirait ceux qui pensent impossible une alternance au Sénat. D’autres pensent que l’alternance pourrait avoir lieu en 2014, mais cela dépendra alors des élections municipales de
mars 2014.
Le groupe UMP au Sénat devrait donc diminuer en nombre, alors qu’il n’avait déjà pas la majorité absolue. Il pourrait perdre une vingtaine de sièges
en raison aussi de dissidences (le groupe compte 159 sénateurs, y compris les apparentés et les rattachés).
L’enjeu du numéro deux de l’État
Or, en ce début automne 2008, le 1er octobre 2008 exactement, l’un des enjeux majeurs se porte sur la succession du Président du Sénat Christian Poncelet. S’il a décidé de ne pas encore prendre sa
retraite (il est sénateur jusqu’en 2014 et il vient d’être réélu à la présidence du Conseil général des Vosges à 80 ans), tout porte à croire qu’il ne se représentera plus à sa
succession.
L’été avait connu quelques frayeurs avec l’hospitalisation dans un état grave du prédécesseur de Christian Poncelet, René Monory, 85 ans et ancien
Président du Sénat de 1992 à 1998.
Mais c’était surtout l’occasion de démarrer cette campagne souterraine du plateau.
La bataille se mène en soft, mais le résultat est tout aussi cruel pour ses victimes. Selon un sénateur, « il ne faut pas s'y tromper. Mes
coups de couteau sont ici aussi meurtriers qu'ailleurs. Mais au Sénat, les corps tombent sur la moquette, c'est moins bruyant. ».
Début de la campagne du plateau durant l’été
La situation entre les groupes est très inégale, et il est certain que ce sera le candidat désigné par l’UMP qui aura le plus de chance de gagner
l’élection de la Présidence du Sénat. Cela nécessitera cependant quelques soutiens du côté des sénateurs de l’Union centriste et aussi des sénateurs radicaux du RDSE (ancienne Gauche
démocratique).
Sans surprise, c’est Jean-Pierre Bel, 56 ans, le président du groupe PS au Sénat, qui sera le candidat socialiste.
Mais au sein de l’UMP, plusieurs personnalités sont en piste, et parfois depuis de nombreux mois. Une primaire est prévue le 24 septembre 2008. Toute
la question était de savoir dans quelle cadre aurait lieu cette primaire : uniquement UMP ou tous les sénateurs de la majorité ? Il semblerait que ce serait l’UMP seule.
Gérard Larcher
Premier à annoncer officiellement sa candidature, l’ancien Ministre du Travail et sénateur-maire de Rambouillet, Gérard Larcher, le 31 juillet 2008
dans un entretien à Paris-Match. Ce n’est une surprise pour personne : « J’ai réfléchi et mûri mon projet. Mon choix est
fait. ». Il demande un large rassemblement et laisse planer auprès de ses amis UMP le risque d’une alternance sénatoriale dès
2011.
Selon Gérard Larcher, « le Sénat souffre d'un procès en légitimité. Il existe une
incroyable distorsion entre la réalité de son travail et sa perception par l'opinion. ». Il milite pour donner plus d'autonomie à la
majorité sénatoriale face au gouvernement.
Gérard Larcher, 59 ans depuis dimanche dernier, aurait d'ailleurs renoncé à devenir Ministre de l’Agriculture dans le gouvernement de François Fillon
pour se consacrer au Sénat. On dit qu’il aurait l’appui de l’Élysée mais Nicolas Sarkozy semble ne pas vouloir se mêler de trop près au choix. Gérard Larcher n'est pas un sarkozyste d'origine. Il
se réclame du gaullisme social.
Nicolas Sarkozy aurait quand même laissé entendre que Gérard Larcher ferait un excellent Premier Ministre et Gérard Larcher a annoncé à ses collègues
sénateurs qu’il remettrait le 18 septembre 2008 au Président de la République ses conclusions définitives de sa mission de réflexion sur l’hôpital (il lui avait pourtant déjà remis officiellement son rapport le 11 avril 2008).
Beaucoup d’observateurs le donnent favoris car il représenterait l’aile RPR de l’UMP, bien mieux garnie que l’aile UDF qui n’a pas complètement
suivie l’UMP. Mais il est fort probable qu’après six ans et demi de fusion UDF-RPR et deux renouvellement, ces vieux clivages pourraient être obsolètes. D’ailleurs, le président du groupe UMP est
Henri de Raincourt, ancien UDF-PR qui a succédé à l’ancien RPR Josselin de Rohan.
Autre raison d’être donné favori, Gérard Larcher connaît très bien le Sénat, y a été élu depuis longtemps (1986) à un âge très jeune (à 37 ans) et y
a occupé beaucoup de postes à responsabilité (notamment vice-président du Sénat et président de la Commission des affaires économiques).
Philippe Marini
Le second à annoncer sa candidature, le 6 août 2008, est aussi un ancien RPR, le sénateur-maire de Compiègne Philippe Marini. Énarque de 58 ans,
Philippe Marini est rapporteur général du budget, l’un des postes clefs de la chambre haute (Jean Arthuis et Alain Lambert l’ont occupé et se sont retrouvés ensuite au gouvernement, à
Bercy).
Il n’a rien à envier à Gérard Larcher question sarkozysme, puisque Philippe Marini a soutenu Nicolas Sarkozy dès 2002. Il pourrait devenir le
candidat du compromis dans un duel Larcher contre Raffarin incapable à départager. Il a déjà fait travailler ensemble soixante-dix sénateurs de toutes tendances dans un projet pour rénover le
Sénat (Un nouvel élan pour le Sénat, projet avec Jean Arthuis, Hubert Haenel, Alain Lambert et Dominique Leclerc).
Son manque de notoriété nationale, l’absence d’expérience ministérielle et le faible poids sénatorial qu’il comptabiliserait actuellement ne
devraient pas en faire un favori.
Jean-Pierre Raffarin
Le principal concurrent de Gérard Larcher est d’origine UDF. Il s’agit de l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin qu’on ne présente plus
depuis sa nomination à Matignon en mai 2002. Il n’a pas annoncé encore officiellement sa candidature mais poursuit son travail de réflexion et de rassemblement depuis le début de
l’été.
Selon Jean-Pierre Raffarin, l'indépendance du Sénat est une priorité : « Autant dire
qu’il ne doit pas hésiter à déplaire. Dans une société qui cultive volontiers le “politiquement correct”, un certain unanimisme et rechigne à accepter la complexité, il n’est donc pas rare que le
Sénat se retrouve dans le rôle ingrat consistant à contredire l’exécutif ou à se démarquer de l’opinion supposée “majoritaire”. (...)
N’est-ce pas le Sénat qui, depuis le début de la IIIe République, a marqué avec le plus de constance son attachement jaloux aux libertés publiques et aux traditions républicaines ? »
Et Jean-Pierre Raffarin rejette la critique de course aux honneurs : « La
responsabilité particulière de président du Sénat, second personnage de l’État, ne s’inscrit pas, à mes yeux, dans un “cursus honorum”. Ce n’est pas une étape dans une carrière. Élu par ses pairs
en toute liberté, il ne doit pas avoir d’autre ambition que de promouvoir et de garantir à la Haute assemblée cette indépendance qui est un combat de chaque jour. »
À 60 ans, Jean-Pierre Raffarin a toutes les qualités pour occuper ce poste, mais s’il y
parvient, ce ne sera pas sans difficulté car il n’est plus donné comme favori depuis le retour au Sénat de Gérard Larcher le 1er octobre 2007.
Jean-Claude Gaudin
Autre candidat potentiel issu de l’UDF, le sénateur-maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin. À presque 69 ans (le 8 octobre), Jean-Claude Gaudin, qui
avait présidé le groupe UDF de l’Assemblée Nationale à l’époque de l’union de la gauche en 1981, a toutefois convenu avec Jean-Pierre Raffarin qu’ils ne seront pas tous les deux candidats à la
candidature face aux candidats d’origine RPR. Cette accord pourrait handicaper Gérard Larcher si le clivage restait encore UDF-RPR.
Alain Lambert
Enfin, il y aura aussi l’ancien Ministre UMP du Budget, le sénateur d’Alençon (ancien maire UDF) Alain Lambert, blogueur comme Jean-Pierre Raffarin
et père de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) avec le
député socialiste Didier Migaud.
Alain Lambert avait présenté un projet de rénovation du Sénat le 30 août 2008 dans le Figaro, où il avait exposé quelques idées simples :
indépendance du Sénat par rapport au gouvernement, simplification administrative du droit, implication du Sénat dans les directives européennes, reconnaissance de l’expertise du Sénat dans la
valorisation du territoire, mise en place d’un travail intergroupe faisant travailler la plus large majorité (concept d’ouverture que ne renierait pas François Bayrou).
Après quelques hésitations, Alain Lambert, à 62 ans, a décidé le 9 septembre 2008 de se lancer dans la bataille du plateau en candidat libre,
c’est-à-dire sans passer par les fourches de la primaire interne à l’UMP. Il avait réussi à rassembler un peu moins de quatre-vingts sénateurs UMP lors de la dernière élection face au Président
sortant Christian Poncelet, un tour de piste remarquable pour un combat perdu d’avance à l’époque.
Un plateau rajeuni
Tout se jouera bien sûr entre le 21 et le 24 septembre 2008, puisqu’il faut attendre les résultats des élections sénatoriales pour connaître le
rapport de force réel des différents groupes et tendances.
Ce qui est positif, c’est qu’après Alain Poher, René Monory et Christian Poncelet qui, depuis quarante ans, ont occupé le poste en septuagénaires,
c’est une nouvelle génération, plus jeune, qui sera bientôt aux commandes, qui tournera autour de 60 ans.
Le plateau ne sera peut-être plus ce plateau d’argent d’une retraite en or, mais le quartier général d’une véritable rénovation
démocratique, celle du fonctionnement du Sénat au moment même où il faudra mettre en œuvre la nouvelle réforme
des institutions.
Le Sénat et les Français
C’est d’autant plus urgent, l’arrivée de cette nouvelle génération à la tête du Sénat, que selon un sondage, les François ne sont que 24% à se préoccuper de l’issue de
ces élections sénatoriales. Score curieusement incohérent avec les 61% qui estiment que le Sénat joue quand même un rôle important dans la vie politique.
Important ? C’est souvent en contradiction, comme le relève le journal d’un assistant parlementaire, avec ce qu’on lit généralement sur les forums internet ou dans les réactions des gens dans la rue, laissant entendre que le
Sénat, qui a pondu de plusieurs lois très réfléchies (comme sur la bioéthique), n’était qu’une maison de retraite et de privilèges, dorée et inutile.
Au prochain Président du Sénat de prouver le contraire.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 septembre 2008)
Pour aller plus loin :
Qui succédera à Christian Poncelet ? (13 mars
2008).
Sénat, le temps des idées et des choix (Alain Lambert, 30 août
2008).
L'indépendance du Sénat,
premier devoir de son Président (Jean-Pierre Raffarin, 11 septembre 2008).
Le Sénat de la réforme
(Philippe Marini, 2 septembre 2008).
Pour suivre la campagne, les meilleurs sites sont :
Le journal d’un assistant parlementaire.
Le site du Sénat.
Ainsi que le site des candidats :
Blog de Jean-Pierre Raffarin.
Les propositions de Jean-Pierre Raffarin pour le Sénat (16 septembre 2008).
Blog de Gérard Larcher.
Les propositions de Gérard Larcher pour le Sénat (17 septembre
2008).
Blog d’Alain Lambert.
Site de Philippe Marini.
Site de Jean-Claude Gaudin.
Fiche de Jean-Pierre Bel.
Liste des candidats aux sénatoriales de 2008.
Les 42 sénateurs sortants qui ne se représentent pas.
NB : La résidence du Président du Sénat est le Petit Luxembourg qui peut être visité pendant les journées du Patrimoine.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=44505
http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080917/tot-senat-francais-qui-sera-elu-sur-un-p-89f340e.html
http://www.centpapiers.com/Senat-francais-Qui-sera-elu-sur-un,4222
http://www.lepost.fr/article/2008/09/16/1265876_senat-francais-qui-sera-elu-sur-un-plateau.html