« Corbeau : n. m. (lat. corvus). I. 3. Auteur de lettres ou de coups de téléphone anonymes et comportant des
menaces. » (Petit Larousse)
« Citoyen, enne : n. (de cité). 1. Dans l’Antiquité, celui qui jouissait du droit de cité. 2. Membre d’un État considéré du point de vue de
ses devoirs et de ses droits civils et politiques. 3. Sous la Révolution, titre substitué à "monsieur", "madame". 4. Fam. et péj. Individu quelconque. » (Petit Larousse)
Alors que le corbeau dans l’affaire Grégory n’a toujours pas été identifié presque vingt-quatre ans après les faits, le réseau mondial virtuel semble cloner ce genre d’animal.
Certes, comme c’est virtuel, rien ne peut vraiment être reproché à ces corbeaux de nouveau genre, sinon quelques insultes et quelques propos déplacés
que parfois la loi sinon la morale interdit.
Mon introduction est sans doute excessive car je veux parler du journalisme citoyen et de l’anonymat.
Droit de cité du journalisme
Je veux plutôt parler du "journalisme participatif", car je déteste le mot "citoyen" apposé comme adjectif, une mode sémantique bien commode qui ne veut pas dire grand chose. Je ne parlerais pas
non plus de "journalisme amateur", car il peut arriver que ce soient des experts dans un domaine qui interviennent (certes, l’amateurisme est dans le fait d’écrire, mais beaucoup de
professionnels sont très expérimentés dans l’écriture d’articles spécialisés et ne sont pas pour autant des journalistes).
L’intérêt du journalisme participatif, et la plateforme d’Agoravox a ce but il me semble, c’est d’aborder des sujets divers, pas forcément abordés
par ailleurs (mais l’effet de mode est cependant tenace), sous un angle original… ou pas.
Critères
Et le gros problème de ce genre de projet, c’est de se donner des critères impartiaux pour savoir quel article peut ou ne pas être publié. C’est en
principe le rôle de la modération et des règles instituées par Agoravox (voir sa politique
éditoriale).
Par exemple, il y a des critères assez faciles à définir : un article mal écrit, incompréhensible, à la langue hésitante et à l’orthographe
désastreuse n’a pas sa place, pour une simple raison de lisibilité et de respect pour le lecteur.
Mais d’autres critères sont sans doute antagonistes : sur Internet, l’objectif est de faire cliquer, de faire lire les pages. Or, cet objectif
s’accommode souvent mal de la nécessaire vérification des informations émises.
Pour simples exemples, à plusieurs reprises, des articles n’auraient pas dû passer car composés uniquement de spam ou de hoax que beaucoup
ont dû recevoir en même temps dans leur messagerie. Et pourtant, ils sont passés alors qu’ils ont délivré des éléments faux, ou du moins erronés, et facilement vérifiables, mais qui allaient dans
le sens du poil des lecteurs.
Mais après tout, pourquoi pas ? Certains journaux papiers sont spécialisés dans ce genre d’informations sensationnelles, futiles, à la véracité
parfois incertaine, ou encore dans le mélange des genres (futilités et sérieux) par stratégie commerciale ou par choix éditorial.
Pertinence du sourcing
Il y a cependant un impératif dans la présentation des informations, même si celles-ci sont apportées de façon tendancieuse (aucun journaliste
professionnel ne peut être réellement neutre, ne serait-ce que parce qu’il est humain). Il s’agit de la vérification des faits.
Certes, même les médias classiques sont eux aussi en carence dans ce domaine. La mort de Pascal Sevran annoncée quelques jours trop tôt, exactement
la même gaffe plus de vingt ans en arrière avec la mort de Marcel Dassault annoncée elle aussi quelques jours trop tôt. Et je ne parle même pas des sujets scientifiques…
Mais ce n’est pas une raison pour imiter leurs travers.
Le meilleur moyen de sourcer l’information, c’est de mettre des liens guidant vers des sites officiels, dignes de confiance.
Par exemple, le fichier Edvige ? Info ou intox ? Un lien vers le site Legifrance, le
décret apparaît sur l’écran ; ce n’est pas de l’intox, c’est bien de l’info. On y lit la date (27 juin 2008), mais aussi les signataires : François Fillon et Michèle Alliot-Marie. Hervé
Morin n’en était pas. Oui, mais on peut aussi lire la date de publication (1er juillet 2008), donc les protestations d’Hervé Morin en début septembre 2008 sont quand même… un peu tardives, dirait-on.
Pour des commodités de lecture, un article peut très bien omettre de signaler ses sources, mais les transmettre sur demande, publiquement ou en
privé, pour ceux qui sont intéressés.
Quand je dis des sources dignes de confiance, c’est-à-dire reconnues comme telles, car Internet regorge de blogs et sites très douteux et tout peut
justement y être écrit (et de façon impunie). Sans compter les erreurs de bonne foi.
Anonymat ou pas de l’auteur
Aussi, pour moi, l’un des critères majeurs pour faire ce journalisme participatif, c’est le "non anonymat". Je n’aime pas trop l’expression qui est
plutôt définie négativement, mais je n’en ai pas d’autre.
L’anonymat peut se comprendre aisément.
Une personne réputée dans un domaine peut avoir une stratégie de communication indépendante des informations ou des analyses qu’il pourrait avoir
envie de faire partager. Dans la vie réelle, elle se choisit un pseudonyme et écrit sous ce nouveau nom.
Pour des raisons professionnelles, lorsque l’auteur évoque son cœur de métier, cela peut être très gênant d’être clairement identifiable. Le Journal d’un assistant parlementaire par exemple, ou les Tribulations d’une caissière qui raconte toutes les anecdotes de son métier ne sont possibles que sous couvert d’anonymat (sinon, la source se tarirait). Même phénomène pour avoir
connaissance du détail de l’élection du dernier pape. Tous les cardinaux ont promis le secret. Mais le ou les
cardinaux indiscrets sont bien obligés de rester anonymes pour ne pas être confrontés à des mesures coercitives (pour les cardinaux, à mon avis, il n’en existerait aucune, mais dans le milieu
professionnel, les sanctions sont faciles).
Pour l’anecdote, la caissière en question, jeune femme de vingt-neuf ans et diplômée d’un master en lettres modernes, a fait en juin dernier
son coming out avec la publication d’un livre sur le sujet et sa démission du
supermarché qui l’employait.
Et puis, si toutes les raisons possibles sont envisageables et respectables pour garder l’anonymat, alors, pourquoi vouloir faire à tout
prix du journalisme participatif ? Rien n’oblige personne.
On peut à la rigueur comprendre l’anonymat de ceux qui réagissent aux articles, il n’est pas question d’y apporter de la crédibilité, mais seulement
un commentaire, un complément, une précision, une correction etc. (parfois, hélas, des propos incorrects).
C’est peut-être la différence entre un journal et un blog. Le blog peut être anonyme, n’a pas beaucoup de conséquence, raconte beaucoup de choses
sans intérêt général. Un journal a la prétention d’informer, d’analyser les événements, il doit être transparent, vérifié, ouvert.
Assumer ce qu’on écrit
L’intérêt du "non anonymat", ce n’est pas une mise en avant (ou alors, quelle vanité stérile sur le net), mais un simple moyen de crédibiliser les
affirmations contenues dans l’article. On engage ainsi sa réputation.
D’ailleurs, certains ont astucieusement réussi à préserver leur identité avec un pseudonyme sans pour autant qu’il soit impossible de les identifier
rapidement. Ceux-là restent tout autant crédibles car ils sont accessibles à l’approfondissement des sources.
Car c’est de cela qu’il s’agit : celle de ne pas dire n’importe quoi sur le net. Cela devrait être l’avantage concurrentiel d’une entreprise
ambitieuse comme Agoravox : ne pas être colporteur de rumeurs, mais apporter une véritable valeur ajoutée dans la masse des informations actuellement disponibles.
Par ailleurs, le "non anonymat" engendre forcément des comportements plus responsables, plus en adéquation avec l’intelligence : il empêche le
mensonge au sujet de ses propres revendications (que dire qu’un patient qui se dit médecin pour écrire sur l’hôpital si on n’a pas la capacité de savoir s’il est réellement
médecin ?).
Le "non anonymat" tempère les colères et les émotions en général. Il décourage la mauvaise foi et la malhonnêteté intellectuelle. Il empêche la
vulgarité que Google immortaliserait définitivement. L’association de son nom avec une insulte ou une grossièreté modérerait naturellement les ardeurs.
Les pseudonymes utilisés dans la presse écrite sont facilement décelables au sein même de la rédaction du journal. C’est facile de vérifier les
dires, éventuellement, d’instruire des procès en diffamation (car c’est surtout là le problème des rumeurs).
Bas les masques…
Un article, d’information ou d’analyse, doit pouvoir être pleinement assumé par son auteur. Cela ne veut pas dire qu’il doit répondre à tous les
commentaires (ce qui prend beaucoup trop de temps) mais il doit être en phase avec son entourage, ses idées, son environnement. Imagine-t-on un instant des personnalités politiques faisant de la
politique sous anonymat, clandestinement (hors périodes d’exception) ?
L'anonymat peut masquer derrière un pseudonyme une organisation très rodée de propagande inavouable, voire une secte, qui visent à instrumentaliser
l'outil virtuel à des fins prosélytes.
Et puis, de toutes façons, tout le monde le sait, s'il y a enquête judiciaire, il n’y a pas de réel anonymat sur Internet, tout est traçable par les
IP, FAI etc. L’anonymat leurre non seulement les lecteurs mais aussi l’auteur.
Alors, messieurs les auteurs d'articles, assumez vos propos, mettez-vous à découvert, donnez-vous de la crédibilité, sinon, ce journalisme participatif sera pire que la pire des presses de
caniveau.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (19 septembre 2008)
Illustrations :
1. Un oiseau de mauvais augure, le corbeau.
2. Zorro.
3. Le Concombre masqué © Mandryka.
Pour aller plus loin :
Guide du journalisme citoyen (Agoravox).
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=44636
http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080919/tot-les-corbeaux-citoyens-d-internet-89f340e.html
http://www.lepost.fr/article/2008/09/19/1268227_les-corbeaux-citoyens-de-l-internet.html