Le vélo, frontière plus infranchissable que le périphérique entre Paris et sa banlieue

Publié le 14 juillet 2007 par Jean-Paul Chapon

Demain, c’est le lancement commercial de Vélib’. Vélibé, Paris est sa banlieue en a déjà parlé. C’est sympathique, sans doute très bien pour les touristes, mais en tant que cycliste, j’avoue que les 22 kilos de l’engin me laissent un peu perplexe. Mais surtout, ce qui aujourd’hui m’agace et m’attriste, c’est le bêlement moutonnier des médias à la veille de ce lancement, avec une mention spéciale à Libération, et son titre de une « la vélosophie », suivi de 4 pleines pages. L’occasion de (re)découvrir que Denis Baupin, l’adjoint Vert au maire de Paris en charge des transports, est aussi irresponsable qu’il est incompétent. Ce dernier s’élève en effet contre un « excès de sécuritarisme » face à la vague de verbalisation dont seraient victimes les vélos à Paris ces derniers jours. Il veut même y voir selon Libération un gage donné par les forces de police aux automobilistes « comme si en verbalisant le cycliste, on donnait des gages à l’auto. » Il n’a donc pas traversé la petite tête de Denis Baupin (qui a d’ailleurs oublié de rendre le port du casque obligatoire pour utiliser ces vélibs) que comme pour le radar ou la ceinture, verbaliser les cyclistes qui ne respectent pas le code de la route, c’est aussi sauver un certain nombre de vies ! Si Denis Baupin veut que le vélo devienne un moyen de transport comme les autres, il faut que les cyclistes obéissent aux mêmes lois que les autres. Déjà, voitures et scooters ne sont pas assez verbalisés à Paris. Faites le test du feu rouge, et comptez combien de voitures le brûlent avant que vous puissiez traverser en toute sécurité. Mais pour autant les cyclistes, dont je fais partie, y compris à Paris, doivent eux aussi respecter le code. Faire du vélo, n’est pas une attitude supérieure qui tient lieu de passe-droit, pour se mettre et mettre les autres en danger. Griller un feu n’est pas un droit pour un vélo n’en déplaise à Denis Baupin.

L’objectif affiché par la mairie de Paris est de mettre 200.000 parisiens à vélo, poursuit Libé, attendons de voir, mais on peut craindre le pire. Et toujours selon Libération, pour l’entourage de Delanoë, il s’agit de sortir de « l’hégémonie du tout automobile », sans pour autant « éradiquer la voiture » que la même mairie veut même mettre en libre service. En un effort d’analyse méritoire, Libération souligne tout de même qu’il y a ces « automobilistes contraints » qui n’ont pas le choix, car pour eux, c’est voiture ou voiture, sauf à vouloir se taper 15 à 25 kilomètres de vélo pour aller travailler, et rappelle que la mairie de Paris encourage le tram (autre tarte à la crème des solutions toutes faites aux problèmes dans la ville) et aussi qu’elle soutient Métrophérique ou Arc-Express (suivant que l’on retient le projet RATP-Conférence Métropolitaine ou celui concurrent sournois et pas franc de la Région)…

Incompétence et mauvaise foi aussi. Cette semaine Denis Baupin avait participé à un chat sur 20minutes.fr. Un festival d’autosatisfaction et de mauvaise foi dont j’avais décidé de ne pas parler, mais tant pis. A la question « Interdire la voiture à Paris soit, mais des transports en commun de qualité, c’est pour quand? », Denis Baupin répond sans sourciller « La qualité des transports publics c’est important en effet. Le tramway, Meteor, ce sont déjà des transports de qualité. Demain, les navettes fluviales. La RATP fait aussi des efforts pour le métro. Et il faut rattraper des années de retard de sous-investissement dans les trains de banlieue et le RER. ». Donc le tram des maréchaux, Météor, et la navette fluviale, sont des réponses qui lui suffisent. C’est un peu comme si l’on disait, la politique culturelle et sportive de Paris sont nulles et que l’on réponde, « il y a les Nuits Blanches et Paris-Plages », pour le reste, il y a beaucoup de retard à rattraper, mais Monsieur Baupin, la priorité, ce n’est pas la navette fluviale, c’est de faire rattraper au plus vite le retard à Paris intra et extra-muros, puisque les deux sont un tout… Nouvelle question « Pensez-vous qu’on doit faire comme à Londres: un péage a Paris pour éviter qu’il n’y ait trop de circulation? » Réponse : « je suis contre un péage à la Londonienne qui favoriserait les Parisiens aux dépens des habitants de banlieue. Par contre, pour financer les transports collectifs en appliquant le principe pollueur payeur, on pourrait rendre payantes les autoroutes d’Ile de France, en commençant par les camions. » Une nouvelle fois, le péage de Londres n’est pas à la frontière administrative de Londres, quant à faire payer les autoroutes de banlieues, merci Monsieur Baupin, l’égoïste parisien, les banlieusards qui n’ont pas d’autres moyens de déplacements vous remercient pour votre solidarité.

A propos de sa politique à Paris, Baupin ne manque pas d’air et se permet de déclarer : « D’abord, sachez que la majorité des habitants de banlieue soutient la politique que nous menons. » Ah bon ? première nouvelle. Enfin à une affirmation comme « Et si tous ceux qui sont seuls dans leur voiture prenaient les transports en commun (en tous cas ceux qui le pourraient facilement), il y aurait plus de la place pour les voitures transportant plusieurs personnes », je suis prêt à dire chiche et à organiser une grande journée tous dans les transports en commun ! Ce serait intéressant de voir quel est le seuil d’élasticité des wagons et de compressibilité des voyageurs. Imaginez un instant la ligne 13 déjà à près de 120% de saturation si on la faisait passer à 150 ou 200% ! Et la ligne A du RER, ou la B, la C ou la D, et les trains de banlieue à Saint-Lazare. Vous aurez peut-être remarqué d’ailleurs que grâce aux horaires d’été de la RATP, en juillet on est aussi serré que le reste de l’année dans les rames. La seule différence, c’est qu’on les attend plus longtemps, car il y a moins de trains. Normal, nous sommes tous en vacances, mais un peu obsessionnels à vouloir continuer à prendre le métro aux heures de pointe au lieu d’aller à Paris-Plages à vélo ;-)

Pour revenir à l’article de Libé, une fois de plus l’incapacité à analyser de certains journalistes me désespère. Libération, dans son papier compare Paris à Lyon, Rennes, La Rochelle. Parle de la vogue des trams comme à Bordeaux et finit par donner les Pays-Bas comme « l’idéal à suivre ». Sabine Cessou devrait ouvrir un manuel de géographie avant d’écrire. Il faudrait par exemple prendre en compte des éléments de comparaison simples : les Pays-Bas, c’est 16 millions d’habitants, l’aire urbaine parisienne, 11 millions. Les Pays-Bas, 41.000 km2, l’aire urbaine de Paris 14.000 km2. Si l’on veut affiner les comparaisons, la zone dense en la limitant aux seuls Paris intra-muros et Petite Couronne, 6 millions d’habitants sur 650 km2, Amsterdam 750.000 habitants sur 220 km2. Sans parler du relief (ou plutôt de son absence) qui facilite l’emploi du vélo, on ne peut pas comparer tout et n’importe quoi. Paris au sens large a besoin de transports de masse. Que Sabine Cessou compare Paris à des villes équivalentes, ayant plus de 10 millions d’habitants, Londres, New York ou même Shanghai, plutôt que de comparer une ville à un pays. Comment faudra-t-il l’expliquer, le hurler pour que l’on arrête de nous mettre toujours en avant des solutions idéologiques, et non pas de vrais solutions sérieuses.

Mais en fait, si cette journaliste n’arrive pas à faire la bonne comparaison, c’est parce que pour elle sans doute, comme pour Denis Baupin, la ville de Paris se limite à ses 20 arrondissements. Et le reste finalement, n’a pas beaucoup d’importance car il n’est pas digne d’en avoir. Au-delà de la simple question des transports en eux-mêmes, la politique de la ville de Paris en matière de transports, a développé une image de la ville, en parfait accord avec son évolution sociologique. Et de se poser la question : le vélo, au-delà d’être un argument électoral de Delanoë, pour flatter son électorat bobo parisien ne devient-il pas un symbole de « classe ».  Et le vélo servi comme une solution miracle aux déplacements c’est vraiment la frontière la plus dure que la mairie de Paris est en train de construire entre Paris intra-muros et Paris extra-muros, une frontière plus dure que le mur de béton du périphérique, car c’est un mur psychologique et idéologique. Il symbolise à lui tout seul un art de vivre protégé , Paris vu de sa selle de vélo, «c’est autre chose que derrière son pare-brise», mais un art de vivre d’un Paris qui se replie sur lui-même. Le vélo c’est pour de petites distances, à l’intérieur de Paris, parce qu’on ne sort pas de Paris, si ce n’est pour aller à Londres ou New York, San Francisco ou à Tokyo, ou pour aller au Festival d’Avignon ou celui d’Aix, ou encore pour faire du trecking dans le Haut Atlas… On n’a même pas tenté de prolonger Vélib’ au-delà du périphérique, un peu comme la Coulée verte qui s’arrête en cul-de-sac face à un ancien tunnel de train transformé en décharge au ras du périph, sans même essayer de se raccorder au bois de Vincennes, pourtant parisien et distant de quelques centaines de mètres.

Le vélo, c’est Paris-village, c’est la gentryfication de la ville, le développement d’un entre soi confortable, c’est la fermeture aux autres, surtout lorsqu’ils sont les plus proches. Et ainsi, Bertrand Delanoë, peut-être sans s’en rendre compte, avec ses amis Verts continue à inculquer dans l’esprit de ses administrés l’idée qu’il y a un Paris, différent du reste de l’agglomération. Différent et supérieur, car conscient des problèmes de la planète, de la pollution, mais aussi capable de développer un art de vivre civilisé, authentique et moderne, avec des services partout, comme le wifi dans les espaces publics, alors que de l’autre côté du périphérique, il y a de méchants banlieusards, sales et polluants qui viennent enfumer les précieux poumons des élites parisiennes, martyrs de leurs voisins, sortes de Groseille dont on se passerait bien, mais oubliant que si leur ville est propre, si leur ville est moderne et offre des services, s’il y a des vendeuses dans leurs magasins et des serveurs dans leurs bars et restaurants branchés, des profs et des instits dans les classes de leurs précieux enfants, et même des conducteurs dans leur joli tram, c’est bien parce que les banlieusards viennent pour tenir ces emplois. La ville est une et solidaire. Il faut relire les éditoriaux de Paul Burgel dans le Monde et de Roland Castro dans Libération cette semaine. D’ailleurs il est très intéressant que suite au débat sur le Grand Paris, par Sarkozy, on trouve plus de tribunes que d’articles de journalistes. Un détail amusant, lors de la dernière conférence de presse qui a suivi la Conférence Métropolitaine, peu de journalistes et peu de questions, et même l’AFP qui après avoir posé sa question politicienne s’éclipse immédiatement…

La mairie de Paris dit pourtant vouloir ouvrir le dialogue avec la banlieue, et c’est vrai qu’elle a beaucoup progressé, voir l’action de Pierre Mansat, adjoint au maire chargé des relations avec les collectivités et sa mise en place de la Conférence Métropolitaine. Mais pour le reste, le maire de Paris doit continuer à répondre aux exigences de son électorat, en restant empêtré dans les idées fixes des Verts. Et c’est bien dommage que le rôle politique et pédagogique que pourrait jouer Bertrand Delanoë, parce que lui croit aux bienfaits que le Grand Paris apporterait, lui qui a eu le courage de lancer des ouvertures se trouve arrêtée parce qu’il faut bien être élu, et réélu.

à suivre…