Pour le bien-être on parle souvent de juste mesure. Ni trop, ni trop peu : précepte souvent cité. Mais cette sorte de moyenne entre les extrêmes n’est-elle pas la monotonie même, c’est-à-dire tout le contraire du bonheur recherché ?
Si l’on écarte les grands malheurs et les maux inévitables, ce qui s’oppose le plus au bonheur, c’est l’ennui. Il importe donc de savoir ce qui peut entretenir le jeu et la vivacité de nos impressions, car la meilleure part de notre bien-être tient à leur intensité. Voyons les moyens de l’accroître.
Le quotidien émousse les sensations alors que le rare et le nouveau retiennent notre attention ; la curiosité aura donc l’excuse ou l’avantage de tenir en éveil. L’immobilité empêche la perception alors que le changement la stimule ; de là ces conseils d’alterner les activités, de cultiver divers domaines, de se faire observateur des choses et des hommes.
Mais le meilleur stimulant est peut-être la gradation : augmenter peu à peu le plaisir, ou l’effort, ou la qualité. Habitat, vêtement, nourriture, loisirs : un léger mieux nourrit le sentiment. Car la jouissance ne réside pas tant dans ce que nous possédons et faisons, que dans la différence avec ce que nous possédions et faisions.
Il n’est donc pas enviable d’avoir tout de suite ce qu’il y a de mieux. Aussi Kant donnait-il ce conseil pragmatique de ne pas chercher à satisfaire entièrement et immédiatement tous nos désirs. Car rien n’est plus ennuyeux que l’assouvissement. De là un art épicurien de différer et de s’abstenir afin, disait-il, d’avoir en perspective un plaisir toujours croissant…