Michel Strogoff au moment où, sous les yeux de sa mère, il est aveuglé par une lame rougie, vous vous souvenez ? La formule est jolie, c’est l’envoi de ‘La Vie Mode d’Emploi’, mais le lien est néanmoins un peu ténu avec le regard du spectateur, le regard qui fait l’oeuvre. Le Musée des Beaux-Arts de Nantes présente jusqu’au 12 Octobre une exposition d’art autour de Georges Perec. Non point que Perec fut un très grand amateur d’art. Le catalogue, fort bien fait (à l’exception d’une cuistrerie de 8 pages pédantes et inintéressantes sur ‘L’art d’après la photographie’) recense les textes où Perec parle d’art, de Klee beaucoup, de Duchamp un peu. Mais l’intérêt est que la structure même de l’écriture de Perec a des connotations artistiques évidentes. Cette exposition en révèle des parentés, parfois évidentes, parfois plus complexes. Elle le fait selon quatre axes : le quotidien, le romanesque, le ludique et l’autobiographique. Chaque visiteur, selon ses goûts et sa sensibilité, se fabrique alors son propre axe de lecture, de déambulation privilégiée.
Moi, c’est la règle du jeu qui m’a le plus intéressé. Que l’auteur de ‘La Disparition’ et de ‘La Vie Mode d’Emploi’, grand satrape oulipien, fut un maître de l’écriture sous contrainte, nul n’en doute. L’intérêt ici est de comparer son approche à celle d’artistes construisant leur oeuvre dans des conditions similaires, selon une règle ludique et contraignante. C’est donc sans surprise qu’on retrouve ici, outre des minimalistes, Roman Opalka et On Kawara (’I got up at..’), François Morellet et Claude Rutault, Cadere et les Becker, tous adeptes, chacun à sa manière, du systématisme. ‘La Disparition’ (roman sans ‘e’) se retrouve chez Jochen Gerner qui oblitère une BD de Tintin en Amérique (TNT en Amérique) pour n’y laisser que des traces énigmatiques, chez Ed Ruscha qui noircit des phrases d’insultes devenues illisibles et que seul le cartel révèle, ou chez Hanne Darboven qui recompose mathématiquement le calendrier. La sérialité est aussi évidente dans l’alphabet d’icônes publicitaires de Claude Closky, dans les ensembles de photos trouvées d’Hans-Peter Feldmann ou dans le journal mièvre aux taches de Rorschach d’Annette Messager. On pourrait construire ici un début d’encyclopédie de l’art systématique et sériel et l’étayer de citations de Perec, j’y serais bien resté des heures. Et, grâce au texte de Bernard Magné dans le catalogue, j’ai appris le mot ‘desmodromique’ : dont le parcours est déterminé par une contrainte.
Mais les autres axes sont aussi pleins de révélations. Boltanski ou Sophie Calle sont bien sûr cousins du Perec auto-biographe, Monory ou Richter parents du Perec romanesque. J’ai vu aussi, transversalement, un art du détournement, de la mise en abyme où, au ‘Cabinet d’amateur’, vont répondre Broodthaers et son musée des aigles dans une salle adjacente, Philippe Thomas (dont le Musée possède de belles pièces) et l’agence ‘les ready-mades appartiennent à tout le monde’, Yoon-Ja et Paul Devautour et leur collection fantôme, Edouard Levé et ses illustres inconnus homonymes, ou la réappropriation par Bertrand Lavier de motifs Mickey en icônes de l’art contemporain, à la Pollock ou Arp.
Cependant que trône au centre de l’exposition la Boîte-en-Valise de Marcel Duchamp, errant dans les salles, je cherchais la pièce à mes yeux la plus perecquienne. Après quelques hésitations, j’ai choisi la pièce la plus performative de l’exposition, la vidéo 5 minutes pour rassembler l’essentiel, de Renaud Auguste-Dormeuil où ce dernier filme des personnes qui, sous la menace d’une catastrophe imminente, doivent quitter leur appartement cinq minutes après le coup d’envoi : que vont-elles emporter avec elles ? quel est leur essentiel ? qu’aurait pris Perec ? qu’aurait pris sa mère (qui fut déportée et tuée à Auschwitz) ?
Vous pouvez lire ici, là et éventuellement là. L’exposition sera à Dole à partir du 21 novembre et jusqu’au 21 février 2009.