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C'est ça Paris

Par Nanne

Paris Portraits - Collectif
(Folio Senso n°4503)

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"Partout le marbre, le bronze et la pierre : des tulipes aux carrefours et de l'or sur les dômes, jade et onyx, alpaga et soies aux devantures, les murs n'ont même plus le temps d'être pollués : la Ville Lumière brille comme un sou neuf - aussi vieux que le pont du même nom".
Ville Lumière, certes. Mais ville en cercles concentriques excentrant petit à petit - excluant même - les populations qui ont fait toute la patine des Grands Boulevards : les artisans, les commerçants, les ouvriers, le petit peuple de Paris. Que trouve-t-on aujourd'hui, sur les Grands Boulevards ? Une sociologie quelque peu bouleversée. Des riches - étrangers pour la plupart - qui achètent tout à n'importe quel prix, pour le plaisir pour vivre dans la ville de Louis XIV, celle du Siècle des Lumières.
Anciens faubourgs aristocratiques tombés entre les mains du peuple de Paris, Poissonnière et Saint-Denis cachent de véritables trésors sociaux inconcevables ailleurs dans la capitale. "Où peut-on voir un petit Chinois et un petit Noir marcher, bras

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dessus bras dessous, au sortir de l'école ? Sur le boulevard Bonne-Nouvelle. Où un groupe de Juifs orthodoxes, en chapeau noir et manteau long, peut-il croiser des commerçants indiens et musulmans, sous le regard d'un couple de bistrotiers se reposant d'un demi-siècle de limonade ? Sur le boulevard Saint-Denis". Véritable Tour de Babel parisienne, les Grands Boulevards sont la reconstitution des cinq continents. Ici, on passe - sans les problèmes de frontières - du continent africain à la Turquie, de l'Inde au Sri Lanka, de l'Europe Orientale à l'Europe de l'Est. On croise des sikhs, des kurdes, des touaregs, des femmes en boubou qui parlent lingala. On quitte Little Istanbul pour plonger dans Chinatown s'en réellement s'en rendre compte.
Après les Grands Boulevards vus par Claude Arnaud, on glisse subrepticement vers les Batignolles d'Elisabeth Barillé, "refuge des artistes sur le retour, des maîtresses grisonnantes, des coeurs à prendre qui ne le seraient jamais [...]". Visions noir & blanc d'un quartier jadis chanté par Barbara et où ont vécu Zola, Man Ray et
Duchamp. Quartier déclaré commune indépendante par Charles X, les Batignolles conservent son aspect surranné en cultivant encore les artisans d'antan. Les Batignolles, c'est le 22 rue de la Condamine. Première adresse de Man Ray à Paris ; lieu qui a vu naître sous ses toits les photomontages dada. C'est aussi le 54 rue Nollet et son hôtel particulier qui a su abriter
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Nicolas de Staël revenu de Nice en 1943. "Les lieux sont fantomatiques : les meubles, les croquis, le grand piano à queue, rien n'a bougé. Nicolas installe son atelier au salon du rez-de-chaussée à cause des quatre fenêtres, des larronniers et des frênes ...". L'immeuble a, depuis longtemps, disparu au profit d'un immeuble de standing et d'une crèche municipale. Tout se transforme, rien ne se perd à Paris.
On quitte à regret Les Batignolles d'Elisabeth Barillé pour suivre Gérard de Cortanze à Montparnasse. Son Parnasse à lui se situe dans la salle du café de La Coupole avec ses trente-deux piliers décorés par trente-deux peintres. Premier souvenir qui le marquera sa vie durant au point de vouloir y vivre, adulte. Enfant, il avait déjà exploré le quartier Montparnasse en long, en large et en travers, tentant d'y retrouver les fantômes de Chagall, Marie Wassilieff ou encore Marcel Duchamp, amis de sa marraine.
Enfin, notre flânerie nous conduira le long des voies du Canal Saint-Martin dont " [...] le tracé côtoie les gares des deux points cardinaux
qui ne font pas rêver : un "Nord" et un "Est" trop lourds de souvenirs d'envahisseurs et de déports aux camps, si loin des envies de grand large vers l'océan de l'"Ouest" et du "Sud" des mers chaudes dont les effluves remontaient jadis jusqu'à tes berges via l'odeur des denrées importées". Le Canal Saint-Martin n'a jamais eu les faveurs des grands romanciers de son siècle
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naissant. Ni Flaubert, ni Balzac ne se sont attardés sur son décor. Seul, Simenon mettait le Canal en scène pour quelques règlements de compte entre proxénètes, prostituées, bandes rivales, apaches, gouapes ou malfrats. Ce canal sublime a quand même su fédérer des armées de libertaires, anarchistes répugnant à s'agréger à un quelconque mouvement et qui ont écrit leurs gazettes et autres pamphlets à l'ombre de ses berges discrètes.
"Paris Portraits", c'est quatre auteurs de notre paysage littéraire et culturel pour une balade romantique dans une ville mystérieuse. Une ville qui ne se dévoile jamais totalement et qu'il nous faut parcourir inlassablement pour dénicher les richesses subtiles qu'elle recèle et cache jalousement, amoureusement, au creux de son architecture urbaine flamboyante. C'est aussi une promenade auditive avec la multitude des accents étrangers venus à la rencontre de la Ville Lumière par les Grands Boulevards. Mais aussi itinéraire olfactif à travers les mille et une senteurs des marchés de quartier déployant leurs trésors d'épices du bout du monde, les fumets délicats des cuisines venues d'ailleurs. C'est le Paris des artistes d'un autre siècle : Rimbaud, Tzara, Monet, Mallarmé ... C'est un livre en forme de récit de voyage où chaque écrivain a mis ses désirs parisiens et ses souvenirs émus d'une ville qui fera encore longtemps rêver.


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