Je reviens quelques instants sur le concept de résilience, à l’occasion du billet publié par SD sur son blog, « Pour convaincre » : s’interrogeant finement sur la « valeur » d’une information, et relevant avec justesse que c’est son caractère exceptionnel et imprévu qui lui confère sa plus-value aux yeux des diffuseurs, tout comme la force de son impact vis-à-vis des receveurs, il conclut par cette phrase :
« Ce qui me laisse à penser que la résilience commence par l’habitude et la prévisibilité… »
Olivier Kempf avait déjà insisté sur cette importance de l’habitude dans le renforcement de la résilience. J’avoue que, pour ma part, je restais dubitatif… Il ne s’agissait pas de nier cet apport, mais il ne me semblait pas si important que cela et, surtout, fort aléatoire : une multitude de coups reçus peuvent fort bien renforcer la résistance tout comme ils peuvent vous appuyer au tapis. J’insistais plus sur l’importance de la connaissance comme préalable (qui évite la surprise et rejoint la prévisibilité décrite par SD) et de la volonté politique qui perpétue une résilience dont la graine est déjà plantée dans la volonté populaire par la connaissance des risques.
Néanmoins, lorsque deux sages me disent qu’il va pleuvoir, j’y réfléchis à deux fois avant de sortir sans parapluie…
Autrement dit, votre serviteur se serait-il fourvoyé en attribuant au concept des vertus supérieures à ce qu’il recouvre en vérité ? Ais-je dépassé la résilience pour m’aventurer plus loin ?
Je m’explique : la résilience collective, dans mon esprit, c’est non seulement la capacité à résister aux impacts reçus mais, allons plus loin, la capacité de rebond. Deux phases, donc : d'une part, je sers les dents et digère la douleur infligée puis, immédiatement après, je me reprends et me place en posture de riposte. Celle-ci peut-être passive, pour une population civile victime d’un attentat et qui reprend sa vie normale malgré les menaces qui pèsent toujours virtuellement sur elle ; ou active pour son gouvernement qui va traquer et neutraliser les auteurs et inspirateurs dudit attentat pour éviter qu’ils ne frappent à nouveau.
C’est à cette aune que l’habitude, si elle a son importance, ne me semblait pas aussi importante que cela et, dans tous les cas, fort aléatoire. Un élément d’un grand tout, certes, mais nullement l’élément décisif.
Je vais prendre deux exemples, l’un individuel et l’autre collectif, qui illustreront mes questions car, dans ce domaine, mon cerveau génère plus d’interrogations que de réponses fermes.
Nous avons tous été confrontés un jour ou l’autre au cas pathétique et cruel du souffre-douleur qui, en salle de classe ou en cour de récréation, se fait régulièrement tourmenter par plus forts que lui. Certains craquent tandis que d’autres vivent avec cette angoisse, ces humiliations répétées, et poursuivent leurs chemins malgré les sévices qui leur sont infligés puisqu’ils savent (ou qu’ils supposent, plutôt) que ceux-ci ne dépasseront pas une certaine dose qui les mettrait réellement en danger. Habitude et résilience individuelle, donc. Pour autant, cette attitude est-elle admirable, productive, constructive ? Accepter les coups reçus par habitude sans se donner les moyens de les faire cesser, n'est-ce pas courir le risque de voir les choses, un jour, aller trop loin ?
Autre exemple, vécut celui-ci, au moins en partie par procuration : la situation qui prévalait en Colombie avant la mise en place de l’action intégrale et la riposte gouvernementale efficace aux exactions des groupes armés illégaux. Tous les jours, ou presque, c’était une avalanche de mauvaises nouvelles aux infos : 30 morts par ci, 14 par là, des enlèvements et attentats à la pelle, une insécurité permanente vécue par tous, chacun devant se protéger contre les violences des uns et des autres. Pour autant, la vie, même perturbée, continuait : l’habitude était devenue une morne résignation et, si la société tournait vaille que vaille, l’idée avait fini par s’installer selon laquelle cette situation serait permanente. Les différents camps s’entretuaient mutuellement, les civils rasaient les murs et tentaient de mener une existence plus ou moins normale. Mais, de rebond, point. Alors, résilience ou résignation devant une oppression perçue comme éternelle ? Attitude juste un peu utile, mais pas suffisamment pour entraîner une riposte organisée ?
L’habitude, donc, et à condition qu’on survive au premier impact, sert incontestablement à fortifier la résilience d’un peuple. Mais va-t-elle entraîner le sursaut nécessaire qui permettra de faire disparaître ces mauvaises habitudes qui, si on les supporte à contrecœur, n’en demeurent pas moins des gênes certaines ?
Et si, en fait, votre serviteur n’englobait pas, et peut-être à tort, la capacité de résistance au sein de la capacité de résilience ?
Bref, je m’interroge…
Mais vous, chers lecteurs avisés, qu’en pensez-vous ?