Qui écrira? Qui trouvera les mots? Le courage?
Un Philippe Claudel peut-être, que ne rebutent pas Les âmes grises ? Qui, en définitive? Où est-elle cette plume non asservie à la comédie des faux lustres de la littérature contemporaine? Cette plume libre se gaussant du cynisme ambiant? Chez une Christine Jeanney , encore peu connue, mais dont les mots vont au charbon, aux frontières des dérives de notre mal être, entre gravité, humour et infinie tendresse?
Vous avez vu, comme moi, ce jeune gamin de 13 ans, racontant avec ses mots de “djeune” (qu’il est un signe de grande branchitude de savoir pratiquer dans les milieux littéraires les plus “tendance”! On se reportera à l’encensement médiatique orchestré par P.O.L . pour Polichinelle , de Pierric Bailly ). Bref, vous l’avez vu comme moi, ce gamin, au JT de 20 heures présenté par le beau Laurent Delahousse. Frimousse d’enfance. Rien que de très ordinaire dans l’affrontement d’un ado avec un prof de physique excédé. Excédé par l’attitude de ces gosses ingérables? Par l’inintérêt de sa vie? Des difficultés familiales?
Le gamin connaît ses droits. Il se plaint d’un coup de poing reçu pour ne pas avoir obtempéré à la demande du prof de lui remettre son carnet de notes. J’ignore si ma version est la bonne. Qu’importe. Car vous avez vu également, le père . Ses yeux effarés. Il est là, le père. Celui qui a porté plainte pour défendre son fils. S’en est suivi la garde à vue du prof. Garde à vue qui précède son suicide. Drame dont le père du gamin est peut-être la cause. On ne sait pas. Mais lui, le père, il sait et il le dit, que s’il avait su, justement, il n’aurait pas porté plainte. Le décor. La cuisine ordinaire. Le visage du père. Atterré. Gris. Les joues creuses.
On éclaircira les circonstances. On découvrira la fragilité de ce professeur. Ou non. On s’apercevra qu’il avait résisté au-delà du possible. On chargera l’enfant. On le verra manipulateur. Ou non. On se rendra compte qu’il est lui-même victime. On observera le père. Son comportement de plaignant conforme à l’attitude irresponsable des parents de l’époque. Ou non. On fera le point sur la machine répressive du système éducatif français qui broie ses enfants et ses propres agents. On ciblera la police, le juge ou le flic capables de se venger d’un mauvais souvenir scolaire. Ou non. On pointera du doigt l’absence de médiation du proviseur, l’évanescence syndicale, le complot déstabilisateur contre l’Ecole Publique…
Mais, à ce stade, vraiment, les causes du drame ou le contraire de ses causes, ne résoudront rien. Comme une réminiscence des paroles de Bob Dylan dans “Qui a tué Davy Moore et pourquoi est-il mort? “, que Graeme Allwright a chanté en France à la fin des années 70.
Retour à la cuisine. La caméra filme cet homme simple accoudé à la table. La détresse dans ses yeux. La candeur du regard de l’enfant. La bonne foi dans la rondeur des joues. Les murs sont nus. Il pleut de la grisaille jusque sur la toile cirée. Misère. Misère d’un monde sans repère où l’adulte n’a plus de rôle, où l’enfant est autiste, où plus rien n’est signe, hors la loi de l’instant. Brutale et pulsionnelle.
Pour ce qui est du sens à donner à la vie…Mais je m’égare. Les outils de production de notre société et les nécessaires consommateurs de base auraient-ils besoin d’un sens à donner à leur vie?
La religion dites-vous?
Ah, c’est vrai! Je comprends mieux le sens de certains discours récents. Heureusement que les grands timoniers qui nous gouvernent veillent à répandre un peu d’opium à ces peuples qui dérangent la liturgie de leurs banquets .
image de la justice empruntée à l’Encyclopédie Encarta