Chaque couleur renvoie dans la société à une symbolique
complexe que nous avons plus ou moins assimilée et à laquelle nous prêtons plus
ou moins d’attention – le vert est lié à la campagne, le bleu au ciel, le rouge
au feu ou à la révolution, etc. La palette est large et a été explorée par
Michel Pastoureau, par exemple dans son Dictionnaire des couleurs de notre
temps : symbolique et société. Le propos de Pierre Bergounioux n’est pas
dans ce petit volume de redire ce qui l’a été, mais de broder avec
allégresse sur l’intrication dans le
domaine des couleurs entre le social et l’individuel, et les associations entre
telle couleur et un métier, un animal, un objet. La réflexion sur les couleurs
déborde son objet et aboutit à saisir dans la symbolique que nous leur
attribuons ce qui pourrait, d’une certaine manière, caractériser
l’humain : « Nul registre de l’expérience n’échappe à la
contradiction qui nous traverse. Les couleurs elles-mêmes accusent, dans leur
registre, l’incertitude de notre être et la labilité de nos affections. »
Ainsi le jaune est à la fois « l’or et la gloire des moissons » et
« l’éclairage maladif des veilleuses, à l’hôpital, des rues pauvres
[etc.] ». Cette ambivalence est présente dans le bleu et le vert qui, tous
deux, ont un rapport étroit avec le rouge : le vert est sa complémentaire
et le bleu « n’est jamais que la négation du rouge, son contraire. »
Elle existe aussi forte dans le rouge, signe à la fois de l’incendie et de
« la magique lueur de la forge », de la destruction et du rêve
d’avenir.
Couleurs n’est pas vraiment, ou seulement, un essai autour
de ce que caractérise telle couleur. Il s’agit aussi, ou principalement, d’une
rêverie autour de ce que nous ne voyons plus, imprégné de l’histoire des
hommes, motif à anecdotes. Mais ces variations autour de quelques couleurs sont
prétexte à dire la désillusion, le retirement. Ainsi, à propos de films
« noyés de bleu » des années 60, l’hésitation, « sans qu’on
parvienne à démêler si telle était la couleur du temps que nous avons vécu dans
l’évidence éternelle du présent ou bien la nuance même du passé. » Ces
pages sont également, dans leur nécessaire densité, des poèmes en prose
bellement accompagnés par les variations colorées de Joël Leick. Ainsi, les
dernières lignes : « Le temps, lorsqu’il passe au rouge, est fécond,
chargé de possibles, précieux à l’égal des choses éphémères ou cachées,
redoutables, qui en portent la livrée. C’est celui, rapide, vibrant, de
l’événement, la lueur de l’instant passé lequel rien ne sera plus comme avant.
Vient l’après. La flamme charbonne. L’accablement succède à l’excitation, la
nuit au jour, la saison noire à l’été hasardé de la Saint-Martin. L’heure
pourpre tourne à l’ocre, au bistre, à la sépia.
Il pleut des cendres. » (p. 36-37)
Une lecture de Tristan
Hordé
Pierre Bergounioux et Joël Leick, Couleurs, éditions Fata Morgana, 2008, 11€.