Je ne serais pas allée voir "La belle personne" au cinéma. A tort ou à raison, j'ai une assez mauvaise image de Christophe Honoré qui m'aurait dissuadée de voir son film, probablement trop parisiano-parisien, trop bobo branché pour me plaire, trop fils à papa (Louis Garrel, "fils de" en tête d'affiche), d'autant plus qu'en ce moment les nouveaux films (très) tentants sont légion. Et puis, encore un film qui se déroule dans un lycée - la barbe, j'y passe déjà bien assez de temps! Si on ajoute à cela qu'il s'agit d'un film librement inspiré de La princesse de Clèves, et que j'avais vu il y a quelques années l'adaptation de Manuel de Oliveira "La lettre", censée être un chef-d'oeuvre et qui ne m'a laissé d'autres souvenirs qu'un profond ennui et le grain de beauté de Chiara Mastroianni observé sous toutes les coutures, on comprendra mon manque de motivation.
Mais voilà, "La belle personne" a été diffusé par Arte la semaine dernière, simultanément à sa sortie sur les écrans et je me suis laissée tenter, en me disant que si ça ne me plaisait pas je pourrais toujours éteindre la télévision.
Bien m'en a pris. Contre toute attente, j'ai aimé ce film parisiano-parisien, bobo branché et fils à papa. Au début, c'était mal parti, les lycéens de Christophe Honoré ne ressemblent absolument pas à des lycéens, ne serait-ce que parce qu'un de leur prof peut dire à l'un d'eux "arrête de faire le pédant" sans avoir besoin d'expliquer le sens du mot "pédant" (en quelques années de carrière d'enseignante, je n'ai jamais pu lâcher un tel gros mot sans voir des yeux héberlués se demander quelle langue je peux bien parler). Le prof d'Italien (Louis Garrel) ne ressemble pas du tout à un prof, il ressemble à ses lycéens, lesquels ressemblent à des étudiants. D'ailleurs, ils fréquentent les mêmes lieux et les mêmes filles. Ils parlent le même langage et vivent de la même façon. Bref, pour la vraisemblance, si chère aux auteurs classiques de la génération de Mme de Lafayette, il faudra repasser.
Pourtant, j'ai aimé ce lycée très cossu du XVIème arrondissement, avec ses airs de couvent d'autrefois, qui m'a rappelé mon ancien lycée de Saint-Etienne. J'avais oublié ces salles de cours qui ressemblent à de petits théâtres, avec leurs estrades superposées, les bureaux en bois des élèves, et celui, massif, du professeur en contrebas, ces déambulatoires suspendus au-dessus de la cour sur lesquelles s'ouvrent les salles de classe, et desquels on a une vue imprenable sur le microcosme adolescent... j'ai connu tout cela quand j'étais lycéenne. A ces souvenirs s'étaient substitué pour moi celui de salles de classe plus modernes (ceux où j'enseigne ou ai enseigné) dans lesquelles la frontière prof-élèves se trouve gommée. Pas d'estrade, tout le monde au même niveau, pas de gros bureau de prof, mais un mobilier scolaire en plastique gris uniformisé, le même pour les profs et les élèves. J'avais oublié qu'un lycée peut être un lieu romanesque.
Plaisir de la mémoire, encore. Je n'avais plus lu La princesse de Clèves depuis mes années en classe prépa, c'est-à-dire au bas mot une bonne dizaine d'années, et reconnaître les motifs du roman dans le film m'a procuré un plaisir presque nostalgique: le portrait, la lettre, la conversation entre la princesse de Clèves Junie et son mari Otto surprise par Nemours, cette société où chacun agit constamment sous le regard des autres.
J'ai aimé aussi cette atmosphère hivernale, qui a nimbé mon adolescence et me hante encore, et même cette chanson (mal) interprétée par de Clèves Otto, l'amoureux romantique éconduit, parenthèse mélancolique de comédie musicale.
Si "La belle personne" ne ressemble à rien de réel, elle est parfaitement familière à mon imaginaire - rêve ou souvenir - moi qui ne suis pourtant ni parisienne ni bobo branchée ni fille à papa. De la cour du roi à la cour du lycée, la transposition m'a transportée bien malgré moi. Merci Arte!