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Une "crise du siècle"

Publié le 21 septembre 2008 par Pitoune

Faillites, ventes forcées, interventions de l'Etat: le secteur financier traverse sa plus grande crise depuis des décennies. Pour la place financière suisse aussi, la situation est critique, estime le professeur d'économie Manuel Ammann.

L'UBS ne court pas de danger immédiat, estime toutefois le directeur de l'Institut suisse pour les banques et la finance de l'Université de St-Gall. swissinfo: Nous venons de passer une semaine financière pour le moins mouvementée...

Manuel Ammann: C'est une «crise du siècle». On n'a plus vu depuis des décennies autant d'instituts financiers disparaître en si peu de temps, parce qu'ils ont fait faillite ou parce qu'ils ont été forcés à la vente et repris par d'autres établissements... ou encore sauvés par le gouvernement américain.

swissinfo: Le pire est-il passé ou faut-il s'attendre à d'autres catastrophes?

M.A.: Personne n'est sûr de rien. Nous nous trouvons à la croisée des chemins. C'est le moment décisif, où l'on verra si le marché se reprend vraiment, dans le sens que de nouveaux acheteurs font leur apparition. Ou bien nous nous trouvons dans un processus de spirale descendante et, malgré l'une ou l'autre reprise, la chute n'est pas terminée.

Le pire ne sera passé que lorsque les acteurs du marché se montreront prêts à reprendre des risques. Mais pour qu'une reprise se révèle durable, il faut absolument que le marché de l'immobilier se stabilise. swissinfo: Le gouvernement américain a déjà, jusqu'ici, injecté 900 milliards de dollars dans des opérations de sauvetage. Etait-ce juste?

M.A.: Sur le principe, les opérations de sauvetage étatiques sont à condamner. L'économie privée doit se sortir elle-même du marécage. Il faudrait donc laisser tomber des instituts bancaires, pour que les acteurs du marché prennent conscience des risques. Si le sauvetage de l'un donne l'impression que tous vont être aidés, c'est la porte ouverte à des opérations dignes du jeu Vabanque (prise de hauts risques) à l'avenir.

Après Bear Stearns, Fanny Mae et Freddy Mac, le marché s'est habitué à ces injections salutaires de l'Etat. Quand le gouvernement a laissé tomber Lehman, cela a provoqué un énorme choc. Mais ensuite, les autorités se sont rendu compte que les risques de réactions en chaîne étaient quand même trop grands sur les marchés financiers si elles laissaient le groupe d'assurances AIG, devenu pratiquement insolvable, à son sort. Elles ont voulu faire un exemple avec Lehman mais ont ensuite eu peur des conséquences. swissinfo: Les contribuables vont-ils devoir se saigner pour éponger les faillites des grands groupes, selon le slogan «privatiser les bénéfices, nationaliser les pertes»?

M.A.: Oui, d'une certaine manière. Si l'Etat entre dans le jeu, il en prend aussi les risques. D'où les conditions très strictes posées à AIG, dont les actifs servent de garantie. Mais AIG a été sauvée par des crédits. S'ils ne sont pas remboursés, la population et l'Etat devront passer à la caisse pour les pertes.

Mais dans la plupart des faillites, leurs propriétaires perdent énormément d'argent. Ils ne mènent pas volontiers leur entreprise à la ruine, comme on le suggère lorsqu'on évoque la théorie de l'«aléa moral» («moral-hazard», comportement non observable de participants à une action économique après signature d'un contrat).

Des problèmes susceptibles d'en causer d'autres existaient bel et bien dans les prémices de la crise, par exemple dans les systèmes de rémunération. Mais le plus grand problème a bien été la très mauvaise appréciation des risques. swissinfo: UBS voudrait se débarrasser de sa banque d'investissement. Est-ce que c'est une option envisageable?

M.A.: En ce moment, une telle option est complètement irréaliste. Mais une vente pourrait redevenir une option ultérieurement. swissinfo: La place financière suisse dépend fortement du contexte international. N'est-ce pas un grand risque?

M.A.: La situation est critique, même si le foyer de l'incendie ne se trouve pas en Suisse. La place financière suisse ne peut se couper des événements internationaux. Les faillites, les cours à la baisse et des investisseurs de plus en plus timorés face à la prise de risque font monter les primes de risques ici aussi. Le refinancement risque de se révéler plus difficile et plus cher. swissinfo: Quels enseignements la Suisse peut-elle tirer de cette crise pour comprendre plus vite les signaux d'avertissement?

M.A.: Les banques doivent impérativement reposer sur une base de capital solide, pour pouvoir amortir les pertes. Une augmentation de 50% du plancher minimal de fonds propres à est tout à fait justifiable, précisément pour les deux grandes banques du pays.

En cas de pertes, les banques doivent chercher à temps de nouveaux capitaux. Il faut aussi améliorer la gestion des risques. De façon générale, on a constaté que les risques du marché immobilier étaient sous-estimés, surtout après que les prix des maisons n'ont cessé, pendant des années, d'augmenter. swissinfo: De nombreux politiciens soutiennent que l'UBS résistera à la crise et qu'aucune conséquence grave pour nos rentes n'est à craindre. Est-ce que c'est un optimisme de façade?

M.A.: Je ne vois en effet aucun danger immédiat pour UBS, car elle est solidement recapitalisée. Mais si de nouvelles corrections de valeur deviennent nécessaires, elle devrait chercher de nouveaux capitaux au bon moment pour empêcher toute situation critique de se développer.

On ne peut pas, en revanche, exclure que la crise financière actuelle ait des effets sur le système de retraites, en Suisse aussi. Le deuxième pilier est tout spécialement concerné. Si les marchés continuent à s'effondrer, quelques caisses de pension deviendront des boulets à assainir. Ce sont les salariés et les employeurs qui doivent financer les assainissements. Mais notre système de retraites n'est pas menacé dans ses fondements.

Interview swissinfo Renat Künzi et Gaby Ochsenbein (Traduction de l'allemand: Ariane Gigon)


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