Avant le dÉbat sur la guerre en afghanistan

Par Francois155

Pour commencer, une petite gourmandise signée Colin Gray et nappée de juste ce qu’il faut du grand Carl. Enjoy :

« Le but de la guerre, c’est la paix, et non la guerre elle-même. C’est après tout le cœur de l’enseignement de Clausewitz. La guerre est un instrument de la politique : ce n’est pas un événement sportif qui doit être abordé et jugé strictement en fonction de ses propres normes. (…)

(…) Clausewitz soutenait que :

« Une fois encore : la guerre est un instrument de la politique. Elle doit nécessairement porter le caractère de la politique et se mesurer selon ses normes. De ce fait, la conduite de la guerre, dans ses grandes lignes, est la politique elle-même qui se saisit de l’épée à la place du porte-plume, mais dans ces circonstances ne cesse pas de penser selon ses propres lois [i]».

Un peu plus tôt, Clausewitz avertissait : « une certaine connaissance des affaires militaires est vitale pour ceux qui ont en charge la politique générale ». Cette exigence est loin d’être habituellement remplie, et elle indique les besoins qu’ont les amateurs civils de se frotter aux questions militaires, à l’opposé peut-être des vues des militaires professionnels ».

Bien. Nous allons donc pouvoir constater demain si les députés et sénateurs ont, à l’occasion des vacances, enrichi leur culture stratégique en lisant quelques bons auteurs, en feuilletant les revues qui vont bien, en s’ouvrant à certaines disciplines parfois mal connues, en discutant avec des hommes de l’art. Car, somme toute, la politique, et donc la guerre, c’est leur métier. Demain, ils auront l’occasion d’exercer pleinement cette fonction enviable que le peuple souverain leur a déléguée.

D’après certaines informations disponibles ici ou là, on peut commencer à se faire une idée des grands axes que développeront les deux camps en présence :

- Pour la majorité, il s’agira d’insister sur la « guerre contre le terrorisme » et « l’Afghanisation du conflit»… Mouais. Les lecteurs qui fréquentent ces pages depuis quelque temps savent ce que je pense de la « guerre contre le terrorisme », une expression qui sonne peut-être bien sur les tréteaux, mais qui n’a aucun fondement stratégique. À développer, pour le moins. Quant à l’afghanisation, qui est contre ? L’un des buts de cette guerre est bien de quitter le pays en y laissant des institutions suffisamment stables et acceptées par la population pour qu’elles puissent perdurer sans aide extérieure. Le problème c’est que nous sommes loin du compte et y resterons si les autorités légales de Kaboul persistent à faire preuve d’une dangereuse incurie. Et puis, il ne faut pas oublier que, côté insurgé, on assiste à une « pakistanisation » du conflit dont il faudra bien s’occuper également…

- L’opposition va, sauf surprise, jouer la carte du « changement de stratégie » en exigeant un « calendrier de retrait ». Deux grands classiques, eux aussi, avec une approximation et une grosse erreur. Passons rapidement sur le « changement de stratégie » qui résonne comme une bonne idée, mais reste, curieusement, peu développée par ses thuriféraires. Nul doute que ce débat sera, pour les socialistes, l’occasion de dévoiler publiquement quelle stratégie ils préconisent pour mener la guerre et vaincre en Afghanistan. Que la stratégie suivie actuellement soit perfectible, c’est une évidence, et on attend avec impatience les propositions de l’opposition sur ce point. Quant au calendrier de retrait, dans ce contexte particulier d’intervention, et peut-être même en règle générale, c’est une grosse sottise : David Petraeus, qui a obtenu quelques résultats en Irak, a passé une bonne partie de son temps à combattre cette idée contre-productive qui consiste à prévenir l’adversaire que, au bout d’un certain temps, on dira pouce quoiqu’il arrive. La guerre, ce n’est pas un match de foot où celui qui a le plus de points à la fin du temps imparti gagne… C’est le dernier qui reste sur le terrain qui engrange tous les points, quand bien même le partant aurait réalisé de bons mouvements. L’idée de fixer un calendrier de retrait consiste simplement à prévenir l’adversaire de la date de sa victoire contre nous. Sympa pour l’ennemi mais moyennement motivant pour nos propres troupes et alliés…

Mais enfin, ne soyons pas cyniques et ne boudons pas notre plaisir : il était temps, en vérité, que nos députés et sénateurs discutent de la guerre, de cette guerre, dans leurs enceintes.

Espérons simplement de tout cœur voir des hémicycles bien remplis, des orateurs affutés, instruits et percutants, des joutes savantes et mémorables ; bref, des débats à la hauteur des enjeux.

Mais nous en reparlerons dès demain, en espérant que ce sera avec le sourire et non la tête entre les mains…



[i] Lire, à ce sujet, le brillantissime billet d’Olivier Kempf sur Clausewitz qui approfondit encore les conceptions du maître sur ce point précis et sur d’autres. Un travail de décryptage qu’il faut, soit dit en passant, et pas pour la première fois dans ces pages, absolument suivre avec la plus grande attention…