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Je l'avais bien dit

Publié le 21 septembre 2008 par Edgar @edgarpoe
Les Etats-Unis s'effondrent : je le savais !

Hum... Non, comme beaucoup, je savais que les Etats-Unis vivaient sur un endettement excessif. Et mon macroéconomiste préféré, Stephen Roach, tirait depuis longtemps la sonnette d'alarme - sans parler de Paul Krugman ou de blogueurs avertis.

De là à imaginer la disparition de monstres sacrés de la finance internationale.

Bref, rien à écrire sauf à se demander, comme tout le monde, ce qui va bien se passer après. Ce qu'exprime très bien un commentateur brillant - et attentif -, pseudonommé JP, chez Radical Chic :

C'est bien écrit et intelligent comme un éditorial de la grande presse, mais ces éditoriaux n'ont au fond souvent pas plus d'intérêt que la rubrique des mots croisés. Parce que l'analyse, trop motivée par l'envie de pontifier et dénoncer, ne s'attarde pas assez sur la phase de collecte et rumination des faits. Ce n'est pas que tu aies tort lorsque tu prédis que rien ne changera. En effet, rien ne guérira le système. Tu es même en dessous de la réalité. En prétextant vouloir porter remède aux perversions du système, les requins situés en haut de la pyramide viennent de franchir un nouveau degré dans l'escroquerie.

Car de quois'agit-il? Des chutes de 3% en une seule journée du Down Jones? Et alors? Rien de nouveau. Une banque qui disparait? Et alors? Rien de nouveau. Sauf que, voilà, Paulson décide de siffler la fin du jeu de massacre en ce moment précis. Pourquoi maintenant? Que s'est-il donc passé de spécial hier et/ou avant-hier? Les cours des 2 denières banques d'investissement encore indépendantes sont attaqués. Morgan Stanley est plus fortement attaquée, alors que ses résultats sont les meilleurs. Le cours baisse fortement, mais ne descend jamais en dessous d'un solide plancher à 18, comme s'il y avait un consensus des marchés selon lequel MS vaut quand même au moins 18. Quant à Goldmann Sachs, les évènements sont nettement plus étranges. Le cours rencontre dans sa descente un plancher bizarrement fixé à pile-poil 100$. Un si joli chiffre tout rond a peu de probabilité de correspondre à une estimation des marchés reposant sur les fondamentaux. C'est bien plus vraisemblblement le chiffre arbitrairement choisi comme niveau pour soutenir le cours, par une entité possédant les moyens et l'intention de le faire. Bon, classiquement, les pactes d'actionnaire pour soutenir un cours ne sont pas facile à mettre en place, on prend le risque d'être trahi, il est généralement plus prudent d'essayer d'être le premier à vendre. Mais ici, il y a un groupement d'actionnaires, détenant 88% de Goldmann Sachs, et structurellement prédisposé à s'unir pour défendre. Ce groupe, c'est Goldmann sachs elle-même, ou plus exactement, ce sont les associés, les ex-associés et une partie du personnel. Et en fixant le chiffre à 100$, ils veulent montrer qu'ils fixent le cours selon leur bon plaisir. Problème: Goldmann Sachs prouve ainsi qu'elle est encore le caid de la place, mais justement, le caid a beaucoup d'ennemis. ( parcourez les forums de traders/boursicoters, vous y verrez souvent des cris d'encouragement dignes des parieurs de champ de course commentant la performance de leur canasson: "Vas y, continue à monter à monter/baisser". Mais pour Goldmann Sachs quelques parieurs à la baisse éructaient - je traduis en francais chatié - "Vas y, crève salope". Pourquoi tant de haine? Ce n'est pas par hasard si cette banque d'investissement était devenue la plus importante. Elle est probablement la plus dénuée de scrupules. La liste exhaustive de leurs manipulations est vraisemblablement assez longue. Associée dans les années 80 à Robert Maxwell, le multi-milliardaire escroc opportunément mort par accident en 91. Associée juste après aux privatisations mafieuses en Russie. Et dernièrement, aurait plus ou moins compensé ses pertes dans les subprimes sur le dos des confrères en étant le premier à vendre à découvert ces titres addossés sur les crédits subprimes, précipitant ainsi leur perte de valeur.

Bref, mercredi et jeudi, on a vendu à découvert l'action Goldmann Sachs. Initialement il y fallait du culot pour s'attaquer au caid, le bénéfice n'était pas garanti, mais il y avait aussi l'envie de crever le monstre.
Mercredi, 12h30, l'heure du sandwich , les vendeurs à découvert attaquent, le plancher à 100$ est percé, ca descend de quelques dollars, puis ca remonte à 100 en une minute. C'est raté! Mais, petit 1, ce plancher n'est donc pas invulnérable, et, petit 2, malgré qu'en fin de journée le cours remonte un peu car les vendeurs à découvert doivent couvrir leur position, le bilan de la journée est à la baisse. Goldmann en sort quelque peu fragilisée..

Jeudi, seconde tentative, 12h30, l'heure du sandwich , les vendeurs à découvert attaquent plus fort que la veille, le plancher à 100$ est percé, ca descend jusque vers 85$, puis ca revient à 100. Mais cette remontée ne sera pas évidente, il y faudra plus de 20 minutes. Caramba, encore raté! Mais, héhé, la prochaine tentative, le lendemain, risque sérieusement d'être la bonne, puisqu'il est maintenant prouvé que mettre à mort Goldmann Sachs, ce n'est plus une idée de fou. Demain les attaquants seront donc logiquement renforcés par de nouveaux volontaires pour la curée. En revanche, aucune aggravation des perspectives pour Morgan Stanley dont le plancher à 18$, plusieurs fois testé, se révèle infranchissable.

Jeudi, encore, deux heures après l'attaque repoussée, mais qui augure mal de la survie de GS, la rumeur circule que Paulson va prendre le contrôle du chaos général. Goldmann est sauvée, 24 heures avant la mise à mort, par l'arbitre qui siffle inopinément la fin du match.

Problème, problème, très gros problème:
juste avant d'être secrétaire au trésor, Paulson était rien moins que le plus gros actionnaire de Goldmann Sachs.

Moralité: il ne faut pas lire les éditoriaux, et il ne faut pas chercher à les contredire, car on accepte alors leur problématique bidon telle que "le système va-t-il se réformer, oui, non". Il faut accumuler les données,les faits, les connaissances historiques, et se demander "que se passe-t-il exactement? Quels sont les détails bizarres? que révèlent-ils?". Et ainsi, la problématique devient "n'est-on pas surtout en train d'assister au passage à un degré encore plus élevé de corruption du système US ?"


@ X ou Y (flemme de vérifier qui a dit quoi)
- rentabilité décroissante du capital: mais évidemment! C'est Statler qui tient la bonne piste. Le système a accumulé plus de capital qu'il n'existe d'opportunités pour l'exploiter avec un taux de rendement jouissif. L'attaque US commencée il y a presque 20 ans sur l'Iraq peut se concevoir avec Lénine: "impérialisme colonial, continuation logique du capitalisme" ou Proust "A la recherche du rendement disparu", enfin bon, vous avez saisi le fond de l'idée.. Autre symptome, l'émission cyclique de bulles qui a remplacé le cycle des crises de surproduction (qui générait au moins cycliquement du vrai rendement.). Mais je ne vois pas pourquoi on se dirigerait vers quelque chose de mieux que le merdier présent. Le système politique "démocratique" continuera à laisser les décisions essentielles au capital financier, qui ne va pas s'emmerder à recréer un New Deal. ( Il n'y aura donc pas, contrairement à l'idée de Guillermo de "perpétuel cycle séculaire entre new deal et dérégulation"). Rappellons que les économistes keynésiens (les vrais) n'ont plus le pouvoir d'imposer leurs idées au moyen d'arguments tels que: "Messieurs les banquiers/rentiers/gros plein de sous, si vous ne vous laissez pas convaincre par nos idées, vous serez bientôt convertis - contre votre volonté - par celles des soviets. Au contraire, le capital va, premièrement verrouiller le système autant qu'il faudra pour qu'aucune décision politique ne puisse porter atteinte aux rentes monopolistiques, c'est toujours ca de conservé, et deuxièmement, quant au gros tas de capital qui restera inemployé, il faudra le déménager en Asie, de préférence en Inde plutot que la Chine (scandaleuse dictature où une bande de politiciens, technocrates et ingénieurs se permettent impunément, et réussissent à, controler l'économie, et bafouer les Droits sacrés de l'Homme riche).

@Corto
Oula! Gros gloubiboulga dans tes souvenirs de la théorie et de l"expérience" que tu invoque: Le rendement décroissant de Ricardo n'est contesté par absolument aucun économiste, même le plus allumé - il concerne le nombre de quintaux de patates récoltés à l'hectare, et sert à expliquer parfaitement la rente foncière agricole ou minière/pétrolière, bref, c'est hors-sujet -. Sinon, il existe effectivement le rendement croissant, au sens de productivité (mesurée en quantité de biens produits) croissante du capital dans l'industrie. Mais il y a aussi la productivité décroissante du capital (mesurée en quantité de pognon gagnée sans rien foutre) au fur et à mesure que le système en accumule (à moins d'innovation technologique) L'idée en remonte au moins à Marx, mais elle est incluse aussi dans la TEG de Walras.

@Tous
Bande de neuneus, adhérents de la grande fraternité des lemmings, avez vous bien médité le sort des Lemmings Brothers? ( attention, super-gag).
Bref, un peu de recul historique vous a manqué pour prendre la dimension complète des évènemments. Ce n'est pas une crise classique. L'explication officielle a bon dos. Résumons; pendant chacune des 2 années consécutives, 2% des hypothèques partent en sucette, en comptant très large. Mais on peut quand même bien récupérer au moins la moitié de la valeur du bien immobilier. Bref, le rendement global des hypothèques est sucré de 1% par rapport aux prévisions. C'est comme si des hypothèques à taux fixes avaient subi les conséquences d'une inflation plsu élevée de 1% qu'anticipé. Et on prétend que ce genre de perte, certes pas négligeable, mais pas non plus exceptionelle serait à l'origine de l'effondrement du système? Pourtant, cf la faillite des caisses d'épargne et LTCM, le système en a vu des pires. La réalité est que les subprimes ne sont que la brindille ajoutée sur le chameau, mais qui a brisé son dos surchargé. Mais cette surcharge en dettes, l'excès de leveraging, ne sont eux mêmes que les symptomes d'un système obligé de faire une sorte de cavalerie financière pour repousser le moment du retour au réel.

Estimé en proportion de la population, le capital industriel réel (pris au sens large, incluant aussi le capital humain et le goodWill de l'industrie) des états-unis est inférieur à celui des francais, allemands ou japonais. Ce n'est pas de là que peuvent venir des profits suffisants à nourrir l'US, et cette situation s'agravera au fur et à mesure que le siphonnage des cerveaux étrangers ralentira. Quant aux profits financiers, ils ne sont conséquents qu'à la condition que les US/UK restent les intermédiaires obligés entre préteurs et emprunteurs du monde entier. C'est de moins en moins vrai. Dégradation similaire dans le domaine commercial. L'empire ne contrôle plus les flux économiques de la périphérie, (au sens de Braudel), dont les membres font maintenant directement affaire entre eux. Juste trois exemples: le premier est un peu anecdotique, quoique, mais extra-frais pondu du jour : l'argentine et le brésil utilisaient le dollar pour leurs échanges commerciaux jusqu'à la semaine dernière. Mais plus maintenant. L'autre exemple est moins neuf, mais général: la plupart des pays d'amérique du sud et d'afrique ne s'interdisent plsu de vendre directement au pays consommateur leurs matières premières. Ah j'oubliais, les états du Golfe Persique vont réellement lancer leur monnaie unique. Bref, l'empire vivait en prélevant sa dime sur les flux économiques de la planète, mais de moins en moins de monde continue de payer. Ah, les bourgeoisies des états clients de l'empire avaient un désir profond et sincère d'obéissance à l'empire, lorsque l'ogre communiste rodait dans les bois et les maquis. Mais tout fout le camp.

Cette crise n'est pas la répétition de la crise de 29, mais elle n'est pas moins historique:
- Si elle entraine un New Deal, ce sera plutot en Chine, afin que la redistibution y soutienne la consommation (etc...), car l'Amérique cessera d'être le gros consommateur à crédit de la planête.
- Si l'on considère l'évènement réellement déclencheur, il n'est peut-être pas aux USA dans les subprimes américins, mais dans les 60 % d'effondrement boursier à sanghai qui avaient précédé. Il y a plusieurs exemples chez Braudel (cf Civilisation matérielle, etc..) de cela: la crise financière générale d'une économie-monde devrait logiquement démarrer dans le Centre. Si elle s'amorce en un lieu de la périphérie mais réussit à contaminer le Centre au point de se généraliser ensuite à l'économie-monde, alors ce lieu de l'amorcage est aussi celui du futur Centre appellé à remplacer l'ancien.

C'est historique. Il faut juste réaliser que la crise de 29 faisait la césure entre l'imperium britannique et l'américain, alors que la crise présente marque une première césure, avec l'imperium chinois qui va apparaitre. Autrement dit, Guillermo aurait complètement raison de dire que la pièce qui commence aujourd'hui est la même celle qui commenca à être jouée en 29, s'il n'avait ignoré que le rôle de l'UK est maintenant joué par l'US, dont l'ancien rôle est aujourd'hui tenu par la Chine.


Outre qu'il y a de quoi écrire un polar moderne, la conclusion de JP, est intéressante pour la gauche : il n'y a aucune raison d'imaginer que parce que la finance supposément de droite s'est cassée la figure, le balancier va automatiquement revenir à gauche...




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