Il ne fallait pas aller bien loin en ville ce samedi pour admirer les fleurs d’été. Le bleuet qui a pratiquement disparu de nos champs cultivés se taillait ici la part du lion dans les rues, au poignet des femmes, dans les petites échoppes bourdonnantes où il rejoignait le lin bleu et les capsules perchées au sommet de tiges dont on n’attend même pas le rouissage pour tisser des muraux éphémères.
Mais plus largement toutes les fleurs, toutes les herbes sont de la fête, en colliers, en tresses, à la ceinture. La botanique continue sur le pavé de la ville.
On attend la fougère. On attend le feu. Les sorcières doivent nous accompagner sur les sept collines, en traversant les sept lacs.Mais étant en ville, elles restent de gentilles sorcières qui ne nous menacent d’aucun sabbat ni d’aucune fin tragique.
De plus, du 21 au 23 juin, jusque la Saint Jean, Vilnius annonce dans ses longues nuits l’année culturelle 2009. Après tout pourquoi ne pas faire en effet une sorte de répétition générale ?
J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire : ce pays est jeune et ses jeunes ont envie de respirer un air de liberté qui a manqué à leurs parents.
Du coup deux événements se superposent, l’un qui est ancré dans les croyances souterraines d’un pays qui n’a été christianisé que très tard. L’autre qui prend d’assaut toutes les tendances, sans véritablement de discontinuité : la musique de l’après guerre, apportée par les orchestres de jazz de la libération américaine, un peu plus loin le country, plus loin encore, dans le Parc des Bernardins, une sorte de pop nordique, articulé à un mini festival de film éducatif…enfin l’éducation au sexe et aux protections. Crûment, sans détours et avec un brin d’humour noir, comme savent le faire les Suédois.Et dans une cour réquisitionnée pour l’occasion par le Centre Culturel français, un groupe beur marseillais, haut en couleurs et d’une remarquable densité sonore, met le feu, au sens figuré.
Tout cela entre deux églises baroques, entre deux temples de la consommation récemment construits, sur le pavé de l’avenue Gedyminas interdite aux voitures et autour du château du même Gedyminas, Grand-Duc de Lituanie au tournant de la fin du XIIe siècle dont la statue cavalière paraît ce soir comme un remord éternel.
Je tourne et retourne sur mes pas dans cette ville que je crois connaître par cœur et où les mariages colorés viennent me barrer le chemin à chaque croisement. Comme une épidémie !
Mais je ne me souvenais pas d’en avoir perçu la lumière d’été avec une telle intensité. Le soir tombe et ne tombe pas. Il pleut un peu, juste assez pour convoquer un arc-en-ciel. Le soir tombe dans des roses intenses, mélangés de bleus électriques qui éclairent les danseurs, comme s’il s’agissait d’acteurs pris dans un étrange music hall.
La ville m’offre un nouveau visage que je ne connaissais pas.
Plus loin encore, à la fenêtre du conservatoire, des chanteurs d’opéra parcourent en duo un festival d’opéras et d’opérettes.
Et puis chacun chante et danse, anonyme et habité.
Let there be night! dit le programme.
J’aime bien cette nuit qui me laisse, loin de chez moi, dans une Fête de la musique insolite.
Mais qu’est-ce que je fête chez moi au fond ? Et mon chez moi n’est-il pas l’Europe ?