Être un, c’est déjà être plusieurs. C’est ainsi qu’un garçon qui ne fréquentait aucun musicien, qui n’était jamais remonté sur une scène depuis un obscur concert au temps du lycée, qui savait à peine nommer une note, s’est pris à rêver d’un groupe à lui tout seul. Car je est un autre ? Ou que le jeu consiste à devenir quelqu’un d’autre ? Dans le cas d’Olive et Moi, les deux hypothèses se rejoignent. On est multiple et cette multiplicité se révèle par le jeu. C’est un effet de miroirs qui s’exprime par un langage prenant les mots à double sens comme une route de campagne qui ne connaît pas de voie unique. « Avec les chansons, même les gens qui me connaissent découvrent quelqu’un d’autre. C’est l’idée de Rimbaud : entre le bois brut et le violon, il s’est passé quelque chose. » C’est un garçon châtain, grand et fin, aux sourires tendus vers l’inquiétude. Il a 40 ans. L’âge où il n’est jamais trop tôt, l’âge où il n’est jamais trop tard.
À l’écoute du premier album d’Olive et Moi s’annoncent des points de comparaison possibles entre Miossec et Dominique A. Il s’agit là d’une chanson française jetée avec une rage impétueuse de guitares acoustiques, qui dit les beautiful losers, les peurs qui ne s’estompent pas, les beaux jours qui se font attendre, les virages qui riment avec naufrages, la France d’en bas qui se mire dans le reflet injurieux d’un monde à paillettes, toute une somme de sourires sardoniques qui rappelle à quel point il est lourd à soulever le couvercle d’ici bas.
De l’aveu d’Olive, les références sont à chercher du côté de Boby Lapointe, Serge Rezvani, The Cure. C’est évident, une fois qu’on le sait. Du premier, il reprendrait les mots à détonations mutiples ; du deuxième, la faculté de composer une chanson avec deux accords ; du troisième, l’intention minimaliste d’un gros son porté par des gimmicks plutôt que par les riffs des héros rock. « Créer c’est mal copier, résume-t-il. À force d’essayer de reproduire les chansons des autres, je suis arrivé aux miennes. »
Les chansons naissent d’instants, de motivations, de coupe-faim à l’ennui, comme une manière de se parler à soi-même quand les autres formes de langage sont épuisées. Olive, né par hasard à Paris mais élevé à la périphérie du centre névralgique francilien, n’a jamais cessé de se sentir aveyronnais comme d’autres corses, basques ou bretons. Après un détour par Nantes, il est retourné dans le sud, à 23 ans. Couper le cordon familial et tordre les mots, voilà pour le programme. Toulouse-Rodez-Montpellier. Il est concepteur-rédacteur dans la publicité. Il signe des spots radio, des slogans pour des élus, des campagnes qui s’affichent en quatre par trois. Le métier lui est venu parce qu’un collègue de bureau avait repéré chez ce type formé au commerce une aptitude aux mots. Cette expérience qui est restée son métier lui permet, dit-il, de ne pas connaître l’angoisse de la page blanche : « Les mots, ce sont des images qu’on prononce. Et ce métier permet de beaucoup m’exercer. Je m’appuie sur des jeux de mots pour décrire le banal de façon singulière, ludique."
Ses premières chansons, Olive s’en est servies comme des courriers. Des lettres à l’être aimé sous forme de cassettes. Une chanson, c’est tendre un fil aux limites de la cassure. Chez Olive, elles sont composées très vite. « Je crois à l’évidence de la mélodie, poursuit-il. C’est un défaut de paresse aussi. »
À l’oreille, sur une guitare, un Bontempi ou un autre clavier d’enfant machiné avec une pédale fuzz, cet autodidacte pose un canevas qu’il organisera par couches rythmées de blancs, de silences, de respirations sur la cyberpage d’un ordinateur servant de console. C’est ce qu’a entendu Da Silva, réalisateur de l’album Fais-moi une passe, onze titres (après une sélection de quarante chansons) accouchés trois semaines durant à Paris, Studio Garage : « Je ne m’appelle pas Zizou / Je serai jamais champion du monde / Moi, je gagne à peine six sous / Au fond de la France profonde. » On a fait pire comme entrée. Ce qui n’ôte pas une certaine appréhension au moment de les enregistrer. — Ludwig Brosch (basse), Romain Caillard (piano, claviers), Mathieu Pigné (batterie), Franck Prosperi (harmonica), Pierre Sangra (guitare, ukulélé), sous la houlette de Dominique Ledudal (enregistrement et mixage).
« Quand je suis entré en studio, j’avais tellement peur de ne pas pouvoir posséder le langage des musiciens que j’ai noté toutes les notes au marqueur sur mon clavier. » Manu Da Silva le décomplexe, l’enjoint à jouer un titre au piano ou à enrichir certaines harmonies. « Comme Manu est aussi auteur-compositeur, je craignais qu’il rentre trop dans les chansons. Finalement, il est intervenu pour animer, donner de la diversité aux structures, aux instrumentations en respectant l'idée de base. » Olive et Moi aime faire confiance au hasard. Que le côté technique des musiciens s’accommode d’une maladresse de jeu, et l’homme sera comblé.
Cet agencement c’est ce qui permet d’imaginer par où la musique a commencé chez Olive et Moi. Un groupe de lycée qui s’appelait The Pure parce qu’avec deux ou trois copains, Olive voulait, comme d’autres ont rêvé de réconcilier les Beatles, être la mémoire intègre du groupe de Robert Smith. Il est vrai qu’au milieu des années 1980, The Cure commençait sérieusement à s’éloigner du style crépusculaire de 17th Seconds et autres coups de génie liminaires. Au sein de The Pure, Olive était Simon Gallup, le bassiste alter ego, l’instrument au niveau des chevilles. On se met du rouge à lèvres autour des yeux pour que la sueur produise des larmes de sang. Un ami coiffeur sert de mécène, convie à des play-backs pour des défilés, finance une séance en studio. Il y aura même un concert, un bide, comme un mardi-gras qui tourne mal, donnant lieu à un long passage à vide. « Dès lors, j’avais l’impression d’être le type à l’arrière du bus qui regarde par la vitre ce qui se passe, relate l’ancien adolescent. Il ne se passait rien, j’avais l’impression de dormir, j’étais le passager de ma vie. »
À 20 ans, il reprend. Une chanson, une cassette, un timbre : les fameuses correspondances dureront quinze ans. Comme on écrit un journal intime, comme plein de gens accrochent des phrases sur des carnets — « Je le faisais sans ambition, ce n’est que très récemment que mon entourage est au courant. » Peur du ridicule, peur de se dévoiler. Et alors qu’il a délaissé les bandes magnétiques pour le Net, où il rencontre une Américaine avec laquelle il monte un projet, Olive and Kicking, et une Lyonnaise, chanteuse du groupe Liz de Lux avec laquelle il écrit et chante sur Fais-moi une passe (Île ou elle, L’Ascenseur), il reprend sa vieille habitude. Une chanson, une cassette, un timbre. La cassette est arrivée dans une maison de disques qui pense qu’il n’est jamais trop tôt ou trop tard pour prendre rendez-vous avec soi et les autres. Elle lui a donné rendez-vous, puis proposé un contrat d'auteur, compositeur et interprète. « Je me suis d’abord présenté comme un auteur de chansons, rappelle Olive et Moi. Lors de ce déjeuner, je dénigrais tout ce que je faisais. C’était assez suicidaire, alors que c’était le label dont je rêvais, il y avait tous les artistes que j’écoutais, Thomas Fersen en tête. Pendant six mois, avec l’impression d’avoir raté ma chance, j’ai donc envoyé une chanson par semaine. Moins j’avais de nouvelles, plus je cherchais à convaincre. » Certaines se retrouvent sur ce premier album Fais-moi une passe, d’autres sont plus anciennes. Une chose est sûre, Olive a convaincu, à l’heure et à l’âge qu’il est.