Mois de septembre : La compassion de Marie - Bossuet (1)

Publié le 19 septembre 2008 par Hermas
Stabat autem juxta crucem Jesu mater ejus. (S. Jean XIX 25) Marie, mère de Jésus, était debout au pied de sa croix. Il n'est point de spectacle plus touchant que celui d'une vertu affligée, lorsque dans une extrême douleur elle sait retenir toute sa force, et qu'elle se soutient par son propre poids contre tout l'effort de la tempête ; sa constance lui donne un nouvel éclat, qui, augmentant la vénération que l'on a pour elle, fait qu'on s'intéresse plus dans ses maux : on se croit plus obligé de la plaindre, en cela même qu'elle se plaint moins ; et on compatit à ses peines avec une pitié d'autant plus tendre, que la fermeté qu'elle montre la fait juger digne d'une condition plus tranquille. Mais si ces deux choses concourant ensemble ont jamais dû émouvoir les hommes, je ne crains point de vous assurer que c'est dans le mystère que nous honorons. Quand je voie l'âme de la sainte Vierge blessée si vivement au pied de la croix des souffrances de son Fils unique, je sens déjà à la vérité que la nôtre doit être attendrie. Mais quand je considère d'une même vue et la blessure du cœur et la sérénité du visage, il me semble que ce respect mêlé de tendresse, qu'inspire une tristesse si majestueuse, doit produire des émotions beaucoup plus sensibles, et qu'il n'y a qu'une extrême dureté qui puisse s'empêcher de donner des larmes. Approchez donc, mes frères, avec pleurs et gémissements, de cette Mère également ferme et affligée : et ne vous persuadez pas que sa constance diminue le sentiment qu'elle a de son mal. Il faut qu'elle soit semblable à son Fils : comme lui elle surmonte toutes les douleurs ; mais comme lui elle les sent dans toute leur force et dans toute leur étendue ; et Jésus-Christ, qui veut faire en sa sainte Mère une vive image de sa passion, ne manque pas d'en imprimer tous les traits sur elle. C'est à ce spectacle que je vous invite : vous verrez bientôt Jésus en la croix ; attendant ce grand jour, l'Église vous invite aujourd'hui à en voir la peinture en la sainte Vierge. Peut-être, messieurs, arrivera-t-il que, de même que les rayons du soleil redoublent leur ardeur étant réfléchis, ainsi les douleurs du Fils réfléchies sur le cœur de la Mère auront plus de force pour toucher les nôtre. C'est la grâce que je vous demande, ô Esprit divin, par l'intercession de la sainte Vierge. Ne croyez pas, mes frères, que la sainte Mère de notre Sauveur soit appelée au pied de sa croix pour y assister seulement au supplice de son Fils unique, et pour y avoir le cœur déchiré par cet horrible spectacle. Il y a des desseins plus hauts de la Providence divine sur cette mère affligée . et il nous faut entendre aujourd'hui qu'elle est conduite auprès de son Fils, dans cet état d'abandon, parce que c'est la volonté du Père éternel qu'elle soit non seulement immolée avec cette victime innocente, et attachée à la croix du Sauveur par les mêmes clous qui le percent, mais encore associée à tout le mystère qui s'y accomplit par sa mort. Mais comme cette vérité importante doit faire le sujet de cet entretien, donnez-moi vos attentions pendant que je poserai les principes sur lesquels elle est établie. Pour y procéder avec ordre, remarquez, s'il vous plaît, messieurs, que trois choses concourent ensemble au sacrifice de notre Sauveur, et en font la perfection. Il y a premièrement les souffrances par lesquelles son humanité est toute brisée : il y a secondement la résignation par laquelle il se soumet humblement  à la volonté de son Père : il y a troisièmement la fécondité par laquelle il nous engendre à la grâce, et nous donne la vie en mourant. Il souffre comme la victime qui doit être détruite et froissée de coups : il se soumet comme le prêtre qui doit sacrifier volontairement : Voluntarie sacrificabo tibi : enfin il nous engendre en souffrant, comme le père d'un peuple nouveau qu'il enfante par ses blessures : et voilà les trois grandes choses que le Fils de Dieu achève en la croix. Les souffrances regardent son humanité ; elle a voulu se charger des crimes, elle s'est donc exposé à la vengeance. La soumission regarde son Père ; la désobéissance l'a irrité, il faut que l'obéissance l'apaise. La fécondité nous regarde ; un malheureux plaisir, que notre père criminel a voulu goûter, nous a donné le coup de la mort : ah ! les choses vont être changées, et les douleurs d'un innocent nous rendront la vie. Paraissez maintenant, Vierge incomparable, venez prendre part au mystère : joignez vous à votre Fils, et à votre Dieu ; et approchez-vous de sa croix, pour y recevoir de plus près les impressions de ces trois sacrés caractères par lesquels le Saint-Esprit veut former en vous une image vive et naturelle de Jésus-Christ crucifié. C'est ce que nous verrons bientôt accompli, sans sortir de notre évangile ; car, mes frères, ne voyez-vous pas comme elle se met auprès de la croix, et de quels yeux elle y regarde son Fils tout sanglant, tout couvert de plaies, et qui n'a plus de figure d'homme ? Cette vue lui donne la mort : si elle s'approche de cet autel, c'est qu'elle y veut être immolée ; et c'est là en effet qu'elle sent le coup du glaive tranchant, qui, selon la prophétie du bon Siméon, devait déchirer ses entrailles, et ouvrir son cœur maternel par de si cruelles blessures. Elle est donc auprès de son Fils ; non tant par le voisinage du corps, que par la société des douleurs : Stabat juxta crucem : Elle se tient vraiment auprès de la croix, parce que la Mère porte la croix de son Fils avec une douleur plus grande que celle dont tous les autres sont pénétrés. Mais suivons l'histoire de notre évangile, et voyons en quelle posture elle se présente à son Fils. La douleur l'a-t-elle abattue, a-t-elle été jetée à terre par la défaillance ? Au contraire, ne voyez-vous pas qu'elle est droite, qu'elle est assurée ? Stabat juxta crucem : Elle est debout auprès de la croix. Non, le glaive qui a percé son cœur n'a pu diminuer ses forces : la constance et l'affliction vont d'un pas égal ; et elle témoigne par sa contenance, qu'elle n'est pas moins soumise qu'elle est affligée. Que reste-t-il donc, Chrétiens, sinon que son Fils bien-aimé, qui lui voit sentir ses souffrances et imiter sa résignation, lui communique encore sa fécondité ? C'est aussi dans cette pensée qu'il lui donne saint Jean pour son Fils : Femme, dit-il, voilà votre fils. O femme qui souffrez avec moi, soyez aussi féconde avec moi ; soyez la mère de mes enfants, que je vous donne tous sans réserve en la personne de ce seul disciple ; je les enfante par mes douleurs ; comme vous en goûtez l'amertume, vous en aurez aussi l'efficace, et votre affliction vous rendra féconde. Voilà, mes frères, en peu de mots, tout le mystère de cette journée ; et je vous ai dit en peu de paroles ce que j'expliquerai par tout ce discours avec le secours de la grâce. Marie est auprès de la croix, et elle en ressent les douleurs ; elle s'y tient debout, et elle en supporte constamment le poids ; elle y devient féconde, et elle en reçoit la vertu. Ecoutez attentivement ; et surtout ne résistez pas si vous sentez attendrir vos cœurs.