On ne peut pas se tromper sur la nature de ce qu'on lit, c'est légèreté et c'est gravité, c'est gravité et c'est légèreté. L'art de ne pas peser en évoquant des moments graves. Il y a surtout par rapport aux précédents livres ? Une formidable réduction du texte (comme les réducteurs de têtes) et précision, concision du sens et de l'atmosphère. C'est incroyablement tenu. Tendu. Comme une corde de violon ou de violoncelle, le texte est tenu par cette tension.
Et en même temps, c'est aussi parfois une rangée d'hirondelles discourant sur un fil électrique. Le ciel bleu, pas seulement. Oui aussi par rapport aux autres livres il y a un bond en avant de la suggestion. Tout ce qui est suggéré en quelques mots, tout ce qui n'est pas dit et n'a pas besoin de l'être et tout ce qui figure et se détache magistralement sur la page. Je lis le texte qui s'intitule : " la veille du 14 juillet ". Une larme roule, solitaire, et je repose le livre sur l'homme en colère et la femme au charbon. Terriblement efficace ce court texte, dur comme un coup de poing et doux... comme la peau des pêches ? Un sang neuf coule dans cette histoire qui est celle de cent mille hommes avant et après L'assommoir de Zola. La larme roule qui connaît l'homme en colère et la femme qui se cache. Mais ne roule-t-elle pas plus encore de lire " plus tard dans la nuit [...] serrés sur le radeau jamais plus [...] après l'usine au café des vents mauvais " ?
Tu as pour toi la profondeur. L'acuité du regard. Et une force. Tu as décapé de toute ta science (le travail, la circonspection) chaque tranche, chaque épisode. C'est une épure. Les figurines taillées au ciseau, ciselées, fini cousu-main. Et puis tes mains les ont caressées, lissées, comme lorsqu'on ne peut pas partir. On reste encore un peu. L'amour est cette attache.
Ce que tu as réussi aussi, enfin il me semble, c'est je crois une plus grande accessibilité. La ville d'après - qui me semble un texte important - est moins accessible au grand public. Et je pense qu'une des gageures de l'écriture est de pouvoir être lu(e) par le plus grand nombre sans pour autant avoir à faire de concession. C'est de mon point de vue l'une des raisons du succès de Colette, et d'Erri de Luca (pour ne citer que ceux-là) : ils ne semblent pas à première vue être des intellectuels ou tenir des propos intellectuels. Non ce n'est pas tout à fait de ça dont il s'agit. Faut-il écrire " cérébral " ? Ecrire que leur écriture semble peu cérébrale ?
Robert & Joséphine en tout cas me semble remporter ce tour de force-là : pouvoir toucher un grand nombre de lecteurs. Il n'est pas question d'écrire en vue du lecteur mais il n'est pas question non plus de le tenir à la porte, hors de portée.