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Insolite - Big brother 2012 et Science-fiction ?

Publié le 18 septembre 2008 par Hugues-André Serres

Insolite - Big brother 2012 et Science-fiction ?

Les technologies et les systèmes existent déjà. Avec un peu de malchance, cela donnerait peut-être ce qui suit…

La Défense, lundi 18 janvier 2012. Dans sa voiture truffée d’électronique, Paul Bouchard roule vers le siège de Consulting Persuasive f Coach, où il occupe le poste de directeur des études, avec un salaire à cinq chiffres. «Vous roulez en zone urbaine depuis le début du mois, annonce la voix suave de l’ordinateur de bord. Pour réduire le montant de votre prime, votre gestionnaire d’assurance auto a converti en kilomètres urbains vos kilomètres ruraux non utilisés.» C’est vrai, avec le boulot qu’il a eu sur le dossier Bloc, Bouchard n’a pu se rendre à sa maison de campagne depuis un bail. Le message suivant l’invite à effectuer son check-up de début d’année. Assurtou, sa complémentaire santé, lui offre des prestations haut de gamme. Il mène une vie Spartiate, surveille ses triglycérides, bannit les graisses saturées, ne fume pas et s’oblige à boire un verre de vin quand il déjeune avec Berger, le PDG de CPC. Son profil génétique, fondé sur une analyse d’ADN, indique 24% de prédisposition au diabète. Il a communiqué cette donnée confidentielle à Assurtou pour bénéficier de la couverture optimale.

A 9h02, Bouchard entre dans le parking de CPC sous l’oeil d’une caméra de vidéosurveillance. Alors qu’il se gare à sa place réservée, la voix synthétique lui transmet un message : «Appelez votre banque de toute urgence.» Son téléphone clignote. C’est son boss : «Bouchard, je vous retire le dossier Bloc. Vous savez pourquoi. Vous pouvez passer à la comptabilité.»Viré sans autre forme de procès. Pétrifié, Bouchard consulte son courriel. Il a un mail de Hunter et Hunter, le cabinet de chasseurs de têtes qui l’a contacté pour lui proposer de rejoindre GlobalWord, le concurrent de CPC. Il devait rencontrer l’associé gérant à 18h30. Rendez- vous annulé. Le deuxième mail, encore plus catastrophique, émane de son banquier : Bouchard doit rembourser les 876 325 euros qui lui restent à payer pour son appartement ou trouver une caution dans les vingt-quatre heures. Alors qu’il tente de joindre la banque, le bip de sa mère retentit. Atteinte d’Alzheimer, elle est équipée d’un bracelet identificateur avec GPS qui donne l’alerte dès qu’elle s’éloigne de chez elle. Consultant le plan interactif sur son écran, Bouchard réalise que Maman est en train d’arpenter la place de la Bourse, à un bon kilomètre de son logis. Il ressort en trombe du parking. Un voyant rouge s’allume. Il a dépassé la limitation de vitesse. La voix synthétique lui intime l’ordre de s’arrêter : il n’est plus assuré ! Ignorant l’injonction, il poursuit vers la place Charles-de-Gaulle. En quelques minutes, une vie réglée comme une page de MS/DOS a basculé dans le chaos. Comment est-ce possible ? Notre homme n’a rien à se reprocher, si ce n’est d’être le prototype du cadre dynamique, accro à son boulot et perfusé à l’internet. Il use sans modération des services en ligne, livrant aux bases de données dispersées sur la Toile tous les détails de son existence. Bouchard appartient à la foule des consommateurs qui sacrifient la protection de leur vie privée au confort des services modernes. A chaque clic de souris, les informations sur sa famille, ses relations, ses déplacements, ses loisirs, ses préférences musicales ou ses mets favoris vont nourrir des centaines de fichiers. Les données personnelles ainsi collectées offrent une mine d’or aux assurances, banques, chaînes de distribution et autres sociétés de services, qui les exploitent pour fidéliser leurs clients. L’univers de Bouchard est façonné par les fées informatiques. BMW, sa marque favorite, sait déjà que sa femme attend un troisième enfant et peaufine une offre hyperciblée pour un break supertouring doté d’options coûteuses.

En temps normal, Bouchard et ses semblables n’ont pas conscience de l’emprise invisible du marketing virtuel. Cette fois, la machine a bogué. L’intéressé l’ignore, mais le déclencheur de la catastrophe est son propre fils, Julien Bouchard, 9 ans. En cherchant à prouver à son meilleur copain qu’il maîtrisait la technique des mailings groupés, Julien a par inadvertance révélé au président Berger la «trahison» de Paul Bouchard : le PDG a reçu le brouillon du courriel que Paul s’apprêtait à adresser à GlobalWord…

A 9h22, Paul Bouchard apprend par sa banque qu’il est séropositif, d’où l’annulation de son prêt immobilier. Pourtant, tests à l’appui, il n’a jamais été porteur du VIH. En fait, sa secrétaire s’est trompée de case en cochant les réponses au questionnaire médical semestriel d’Assurtou. Questionnaire traité par le logiciel CRM - Customer relationship management - qui a associé l’information «séropositivité» à une clause restrictive du contrat.

A 10 heures, Paul retrouve sa mère. Il ne sait pas encore qu’il a perdu sa femme. Mme Bouchard a voulu retirer de l’argent liquide avec sa Visa Super-Platine créditée sur le compte joint du couple. Elle a appris que les comptes de son mari étaient bloqués et qu’il était licencié. De retour au foyer, elle a trouvé un message sur le répondeur : une invitation pour son mari à une soirée à thème au Repos du Gayrier, célèbre bar homo. Trop, c’est trop. Mme Bouchard a quitté le domicile conjugal. Avec les gosses. Paul a peu de chances de la convaincre qu’il n’a jamais mis les pieds dans le bar. En réalité, il a oublié à son club de fitness le sweat-shirt Kermès à 800 euros offert par sa femme pour son anniversaire. Un indélicat a enfilé le cadeau avant de se rendre au Repos du Gayrier. Problème : le précieux vêtement était muni d’une puce RFID (identification par radiofréquences) avec les coordonnées de son propriétaire; le lecteur RFID installé au bar a décrypté la mémoire de la puce. Prenant Bouchard pour un habitué, les aimables employés du Repos du Gayrier l’ont appelé chez lui… A midi, assis en tailleur sur la moquette de son appartement vide, Paul Bouchard se demande s’il peut encore commander une pizza en ligne. A vrai dire, il n’a pas très faim.

Jean-Jacques Chiquelin, Michel de Pracontal
Le Nouvel Observateur

Merci à Joëlle pour l’info

;-)


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