… alors sois, ou tu ne seras jamais.
Au moment de ces lignes, on ne sait encore où sera enterré Mahmoud Darwich. Probablement à Ramallah où “l’Autorité palestinienne” annonce déjà qu’elle souhaite ériger un monument à sa mémoire, et non pas dans sa terre natale, près de Haïfa. On peut penser en effet que les dirigeants israéliens n’accèderont pas à la demande qui leur a été adressée d’autoriser la mise en terre du poète là où il est né et où il a vécu jusqu’à son exil en 1970.
Un exil forcé et non pas choisi, en dépit de ce que peut laisser entendre la formule pour le moins ambiguë qu’utilise un blog du Monde en hommage au poète qui, avant de prendre la décision de “s’exiler”, comme l’écrit son auteur, Pierre Assouline, avait été assigné à résidence à plusieurs reprises par la justice israélienne. Durant ses presque 40 ans d’exil, soit toute sa vie d’adulte, il n’aura été autorisé que trois fois à revenir, brièvement, sur son lieu de naissance. (La dernière, à l’occasion d’un récital à Haïfa il y a tout juste un an, comme on l’avait signalé ici.)
Symbole de l’identité palestinienne, Mahmoud Darwich, à l’image d’autres intellectuels palestiniens et notamment d’Edward Said, avait critiqué durement les accords d’Oslo. Il avait même démissionné en 1993 du Comité exécutif de l’OLP pour protester contre une politique qui ne pouvait mener à ses yeux qu’à une paix injuste.
Depuis, il n’y a eu aucune paix, mais beaucoup d’injustices…
Mahmoud Darwich n’a cessé de réclamer son besoin d’être entendu comme poète et non pas seulement comme “représentant du peuple-palestinien-opprimé”. L’écho soulevé par sa disparition montre que le versant poétique de l’oeuvre du poète aura donc fini par exister. Reste la part “politique” de cette vie qui s’achève bien avant tout espoir de dénouement pour les Palestiniens, une réalité que trop d’éloges sur “l’universalité”, “l’humanisme” et “le lyrisme” de cette création ne ne doivent pas faire oublier.
En 2002, alors que l’armée israélienne entoure Ramallah où il réside “dans son pays” comme l’écrit encore Pierre Assouline en escamotant le fait que le poète ne pouvait revoir sa terre natale, à quelques kilomètres de là, en territoire israélien, Mahmoud Darwich a écrit ces vers qu’on peut lire maintenant qu’il est mort comme un ultime appel aux siens :
Ceux que tu aimes sont partis,
alors sois, ou tu ne seras jamais…
ذهبوا… فإما أن تكون أو لا تكون
(11/08) Sans surprise, confirmation (dans Al-quds al-’arabi par exemple) du fait que Mahmoud Darwich ne sera pas enterré dans son village natal, ou bien encore dans celui où habite sa famille, près de Acre, en Galilée. Impossible sur le plan symbolique pour les autorités israéliennes d’accueillir sur “leur” sol la dépouille du “grand absent” palestinien.
“Et le Coran t’éclaire
Alors Dieu manda un corbeau gratter le sol pour faire voir à Caïn comment ensevelir son frère.
- Malheur à toi, dit-il, je n’étais pas capable comme ce corbeau d’ensevelir la dépouille de mon frère.
Et le Coran t’éclaire
Cherche notre résurrection et vole haut, Corbeau.”
فبعث الله غراباً يبحث في الأرض
ليريه كيف يواري سوءة أخيه قال
با ويلتي أعجزت أن أكون مثل هذا الغراب
ويضيئك القران
فابحث عن قيامتنا وحلق يا غراب
Sur cette vidéo tirée d’un récital à Bethléem retransmis par la chaîne Al-Jazeera, on voit Mahmoud Darwich lire ce poème dont sont extraits ces deux vers (le texte français s’inscrit, avec quelques fautes d’orthographe…, en incrustation dans l’image). Au-delà de la beauté des mots arabes, il faut lire le texte (dont la couverture ouvre ce billet) pour déchiffrer toute la richesse des métaphores du poète qui renverse les rôles entres martyrs et bourreaux. De très nombreuses vidéos, souvent avec des traductions en français, sont disponibles en suivant ce lien. Sur la partie anglaise de ce blog, un extrait (sous-titré en anglais) de Notre musique, un film de Godard où l’on entend Mahmoud Darwich dire des choses importantes sur la relation entre Israéliens et Palestiniens.
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