Les “blacks du Proche-Orient”, c’est ainsi que se définissent les rappeurs palestiniens vivant dans les frontières – en principe internationalement reconnues - d’Israël. “Survivants” du grand exode largement encouragé comme on le sait aujourd’hui par les forces, régulières ou non, du tout nouvel Etat, ces “Palestiniens de 48″ comme on les appelle (même si certains continuent à parler d’”Arabes israéliens”) composent aujourd’hui 18% de la population.
On a vu dans un lointain billet que le rap palestinien est précisément apparu il y a quelques années dans les “banlieues noires” de l’”Etat juif” (d’après un des chanteurs du groupe Dam, on distingue les différentes banlieues pauvres de Lod, tout près de Tel-Aviv, par leur couleur - blanche, grise, noire - en fonction de l’origine ethnique des habitants).
Selon Jackie Salloum, la réalisatrice de Slingshot Hip Hop (Le rap des frondes) - article du quotidien beyrouthin anglophone repris par le très bon site Tadamon - le phénomène a d’abord été “israélien” et les premiers concerts regroupaient les déshérités rebelles juifs et arabes de la société israélienne. Mais, à l’image de la déchirure qui s’est aggravée entre les deux sociétés, les voix palestiniennes du hip-hop, à commencer par celles du groupe Dam, se sont clairement positionnées aux côtés de la revendication nationale palestinienne lors de la seconde intifada à partir de septembre 2000, tandis que les voix en hébreu, celle d’un rappeur nommé Subliminal par exemple, se sont laissé gagner par un radicalisme ultra-national qui rend toute cohabitation impossible.
Adopté dans l’ensemble des pays de la région, le rap se décline aujourd’hui, dans ses formes palestiniennes, en fonction des conditions faites à ce peuple sans Etat : sous juridiction israélienne, dans les Territoires prétendument sous contrôle de l’Autorité palestinienne et avec les situations très différentes à Gaza ou en Cisjordanie, dans les camps de réfugiés des pays environnants. Quelle que soit sa situation, la jeunesse palestinienne en fait le manifeste de son identité affirmée avec une énergie et une vitalité qui, pour beaucoup d’observateurs, contrastent avec ce qu’on peut observer aujourd’hui dans une société épuisée par des années de lutte et de souffrance.
Pour la réalisatrice, cette aventure qui aura duré plus de quatre ans, ne pouvait se refermer qu’en projetant en Palestine un travail qu’elle n’aurait pu mener à bien sans le soutien indéfectible et généreux (par rapport à d’autres offres financières) des musiciens eux-mêmes. Cela a été possible en juin pour la Cisjordanie, mais pas à Gaza où la force occupante n’a pas autorisé la réalisatrice à se rendre, tandis que les rappeurs de la bande restaient “naturellement” emprisonnés dans leur petit bout de terre avec plus d’un million de leurs compatriotes.
En août, la plasticienne d’origine syro-palestinienne, accompagnée par Sama Abdelhadi, une rappeuse du groupe Arapeyat (trois jeunes femmes de Cisjordanie), est venue présenter dans les camps palestiniens du Liban son film, en se demandant bien d’ailleurs comment il y serait reçu.
Les jeunes Palestiniens des camps ont eu un choc en entendant la bande son. Mais pas à cause de la musique, qu’ils connaissent depuis longtemps. En effet, même s’ils comprennent que ceux qui sont de l’autre côté des frontières de 48 veulent obliger les Israéliens à les entendre, ils sont apparemment restés perplexes en découvrant que les Palestiniens “de l’intérieur” pouvaient adopter l’hébreu, y compris pour crier à l’occupant dans leurs chansons que tôt ou tard la justice triomphera.
Pourtant, Tamer, un des trois membres du groupe Dam s’en explique fort bien, dans cet article dans le magazine Telquel : “En arabe, on prêche des convaincus, nous voulons aussi nous adresser à l’ennemi.” Mais comme le remarque Mahmoud, autre membre du groupe, “depuis que nos textes ont gagné en profondeur et en maturité, ça intéresse moins”.
Rappelant au passage que leur musique est interdite en Arabie saoudite et au Koweït (même si tout cela - fichiers musicaux mais aussi paroles - circule sur internet et notamment sur le site www.palrap.net qui a pris la relève d’Arabrap.net), le chanteur conclut cet article dans l’hebdomadaire marocain par une remarque d’une cruelle lucidité sur la situation à Gaza en disant que le groupe “n’est ni pour ni contre le Hamas, mais [que] le peuple l’a choisi, [et qu’] il faut respecter ça” et en soulignant que “dans un ghetto, on finit toujours par s’entretuer…”.
Ci-dessous, la bande-annonce du film de Jackie Salloum
Il faut se rendre également sur le site de la réalisatrice. Vous pourrez notamment y visionner un très court métrage, intitulé Arabs a-go-go, qui montre les “Arabes comme vous ne les avez jamais vu jusqu’à présent, sauf si vous êtes arabe !”
Les documents utilisés (archives cinématographiques) sont par définition anciens, mais on souscrit dans ces chroniques totalement à la démarche de Jackie Salloum qui rappelle, en dépit des idées toutes faites et du matraquage des médias, qu’il y a de la vie dans le monde arabe.
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