(Photo : Wissam Nassar/MaanImages)
La persistante utilisation par Israël de collaborateurs palestiniens pour renforcer l'occupation et détruire la résistance palestinienne avait toujours été jusqu'à aujourd'hui passée sous silence.
Quand le sujet était abordé par les médias internationaux et locaux, c'était uniquement dans le cadre des insuffisances du système judiciaire palestinien qui tolérait l'exécution sommaire de collaborateurs lynchés par la foule ou condamnés par des tribunaux aux décisions arbitraires.
Cela commence à changer avec un flot régulier de rapports donnant une idée de l'ampleur de l'utilisation de collaborateurs par Israël, et des techniques malsaines employées pour les recruter. Il est devenu évident que « la coopération » est l'épine dorsale même de la réussite d'Israël à maintenir son occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
La collaboration a de multiples apparences, dont les revendeurs qui achètent des terres appartenant à des Palestiniens pour ensuite les revendre aux colons ou au gouvernement israélien, ou des collaborateurs armés qui assistent les soldats israéliens lors des incursions, ou encore des indicateurs infiltrés dans les organisations politiques et leurs ailes armées et qui contrecarrent les opérations de résistance.
Mais la base du système de collaboration, dont Israël dépend pour maintenir son contrôle, est l'informateur de bas niveau qui transmet mêmes les plus petites informations sur ses voisins et les responsables de sa communauté.
Des informations récemment parues dans les médias israéliens suggèrent que le retrait de Gaza en 2005, loin de réduire les opportunités pour cette collaboration, les aurait au contraire réellement augmentées. Le siège en cours appliqué contre le territoire — par lequel Israël contrôle effectivement tout mouvement dans et hors de Gaza — a fourni un point de levier idéal pour imposer les connivences.
Aux commandes de cette stratégie se trouve la police secrète israélienne, le Shin Bet, qui a récemment tourné son attention vers les Gazans malades et vers leurs parents qui doivent sortir de la bande de Gaza. Avec des équipements hospitaliers et des médicaments qui font défaut, certains patients ont peu d'espoir de guérison sans un traitement à l'étranger ou en Israël.
Selon la branche israélienne des médecins pour les droits de l'homme Physicians for Human Rights, le Shin Bet exploite la détresse de ces familles pour exercer des pressions afin qu'elles acceptent de collaborer en échange d'une autorisation de sortie.
Le mois dernier, cette association a révélé les détails de 32 cas dans lesquels des Gazans malades ont reconnu que des permis de sortie leur ont été refusés après qu'ils aient eux-mêmes refusé de se transformer en indicateurs.
Parmi ces cas se trouve celui de Shaban Abu Obeid, âgé de 38 ans, dont le stimulateur cardiaque a été installé dans un hôpital israélien et qui a besoin d'un entretien régulier fait par les médecins israéliens. Un autre cas montre que Bassam Waheidi, âgé de 28 ans, est devenu aveugle d'un oeil après qu'il ait refusé de coopérer et que le droit de quitter Gaza lui ait été nié.
Mais ces cas ne sont que la partie visible d'un énorme iceberg. Ces Palestiniens qui refusent de collaborer ont tous intérêt à rendre public leurs mésaventures. En revanche, ceux qui acceptent de se transformer en indicateurs n'ont aucun intérêt à le faire...
Comme c'est le cas dans d'autres régimes d'occupation, Israël s'est longtemps appuyé sur la façon la plus traditionnelle de recruter des collaborateurs : l'usage de la torture. Alors qu'une décision de la Cour suprême israélienne interdit la torture depuis 1999, l'évidence suggère que le Shin Bet a tout simplement ignoré ce jugement.
Deux groupes israéliens de défense des droits de l'homme, B'Tselem et Hamoked, ont découvert l'année passée qu'étaient toujours régulièrement utilisées sept méthodes « spéciales » d'interrogatoire correspondant à de la torture, dont les passages à tabac, les immobilisations douloureuses, des positions contraignant le dos à se plier en arrière, et la privation prolongée de sommeil.
La détention offre d'autres moyens de recrutement. Ces seules 17 dernières années, 150 000 Palestiniens ont été poursuivis par le régime militaire. Selon le groupe israélien Yesh Din, 95% de ces poursuites se terminent par des négociations entre le procureur et l'avocat de la défense, impliquant parfois le juge, pour réduire la gravité des charges, offrant ainsi une autre possibilité de persuader un détenu de faire l'informateur en échange d'une peine réduite.
Le partage de cellule dans le système pénitentiaire israélien, comme Salah Abdel Jawwad, spécialiste des Sciences politiques basé Ramallah l'a observé, est aussi l'environnement parfait dans lequel le Shin Bet peut collecter des données non seulement sur un(e) détenu(e) mais également plus largement sur la société d'où il ou elle est issu(e).
Avec des centaines de milliers de Palestiniens ayant passé par ses prisons depuis 1967, Israël a pu « depuis longtemps contrôler la population » nous dit M. Abdel Jawwad, « en particulier parce qu'il peut identifier à l'avance ceux qui ont l'étoffe de devenir des dirigeants dans la société palestinienne. »
Un exemple de l'utilisation de pressions durant la détention en prison a été révélé la semaine dernière quand un ordre de relâche a été émis sur le cas de Hamed Keshta, âgé de 33 ans, originaire de Gaza. Traducteur pour les agences de presse et l'Union européenne (UE), il a été arrêté en juillet alors qu'il essayait de se servir d'un permis pour franchir la frontière vers Israël afin d'assister à une réunion avec ses employeurs de l'UE.
M. Keshta a raconté qu'il a été placé en détention et qu'il s'est vu offrir la possibilité de devenir un collaborateur. Après qu'il ait refusé, les interrogatoires par le Shin Bet « ont commencé à devenir sérieux », rapporte le quotidien israélien Haaretz. Il est resté en détention pendant un mois, affublé des plus graves accusations telles que des « violations de la sécurité » et d'avoir conspirer pour commettre « un crime contre la sécurité de l'État. »
« Je suppose que c'est l'interrogatoire standard que des milliers d'autres Palestiniens subissent, » a-t-il estimé après sa libération. « Ils ne m'ont pas battu, mais j'ai été placé dans des positions contraignantes et forcé à me courber sur une chaise, » ajoute-t-il, faisant allusion à la cruelle position nommée « shabah » qui devient insupportablement douloureuse après une courte période. Keshta a également été privé de médicaments.
Depuis des décennies, les autorités d'occupation ont imposé un système de contrôle absolu sur la vie des Palestiniens qui obligent ces derniers à obtenir des permis pour tout mouvement, soit auprès du régime militaire qui les domine, connu sous le terme trompeur d'administration civile, soit auprès du Shin Bet.
La plupart des Palestiniens ont besoin d'une laisser-passer pour réaliser les tâches habituelles et essentielles telles que construire ou transformer une maison, traverser un point de contrôle [checkpoint] pour rendre visite à un parent ou pour atteindre un hôpital, passer par une porte dans le mur de séparation [mur d'Apartheid] israélien pour cultiver leurs terres, conduire un taxi, obtenir des permis d'importation ou d'exportation, quitter les territoires occupés y compris pour des affaires, rendre visite à un parent en prison, obtenir un droit de résidence pour une personne aimée, et ainsi de suite...
Il y a peu de Palestiniens qui n'ont pas eu besoin d'une telle « faveur » de la part des autorités militaires à un moment ou à un autre, soit pour eux-mêmes soit pour quelqu'un qu'ils connaissent. Et c'est en ce moment qu'une pression peut être exercée. Dans son livre « Sharon et ma belle-mère », Suad Amiry décrit avec éloquence ce processus. En échange d'une aide ou d'un permis quelconque, un retour est exigé par le régime d'occupation. Une fois le doigt dans l'engrenange, l'intégrité du bénéficiaire est compromise et progressivement de plus grandes exigences se font jour.
C'est ce progressif étranglement de grandes parties de la population palestinienne, en même temps que des menaces ouvertes de violence physique destinées à de plus petites parties de la population, qui certifient que la collaboration avec l'occupation a un aspect endémique. Ceci, dans la façon dont le comprend Israël, crée un environnement qui empêche le succès de la résistance et qui exige organisation, coopération et échange de renseignements entre les organisations armées. Dès que le cercle s'élargit au-delà de quelques individus, l'un d'entre eux est susceptible d'être un informateur.
Le résultat peut être constaté dans l'échec récurrent de la plupart des actions armées de la résistance, aussi bien que dans la facilité avec laquelle Israël sélectionne des dirigeants palestiniens pour en faire des « cibles » pour des meurtres.
M. Abdel Jawwad caractérise cette approche de guerre « psychologique » contre les Palestiniens, qui sont ainsi poussé à croire que leur société est « faible, maladive et composée d'individus peu fiables. »
En bref, ceci encourage la fragmentation sociale où les Palestiniens en arrivent à croire qu'il vaut mieux poignarder son voisin dans le dos avant d'être soi-même poignardé.