Georges friedenkraft

Par Ananda

Georges Friedenkraft, né en 1945 à Libourne, chercheur scientifique, a collaboré à de nombreux périodiques de poésie autour du monde et particulièrement en Extrême-Orient.
Il a également beaucoup oeuvré, notamment dans les colonnes de la revue "Jointure" à Paris, dont il est l'un des animateurs, à une promotion en France de la poésie asiatique. On lui doit l'adaptation en français, réalisée en collaboration avec Haruki Majima, de poèmes classiques japonais du XVIIème siècle.
Marié à une journaliste originaire de la Malaisie, il est père de quatre enfants.

METISSAGE.

Ils m'ont dit que tes mains seraient
moitié sapin moitié rizière
aussi pâles que les bouleaux
aussi dorées que les volcans
Ils m'ont dit que tes dents seraient
moitié tigre moitié panthère
blanches et serrées comme un roc
dures et bleues comme un couteau
Ils m'ont dit que tes yeux seraient
moitié iris moitié jachère
les bourgeons d'un saule amoureux
la ride fleurie d'un ruisseau
Ils m'ont dit tout cela ma douce
moitié plaisants moitié sévères
ceux qui voulaient figer de mots
le caprice ailé de tes jeux
Mais n'en déplaise aux médecins
aux savants et aux infirmières
bébé tu es tout à la fois
tigre et mouton, iris et chêne
Un petit peu du riz d'orient
mais aussi le blé millénaire
un petit peu de sapin blond
mais aussi le bois noir des îles
Il n'est rien de plus chatoyant
et je le sais comme ta mère
que deux races deux horizons
deux peaux deux sangs qui se mélangent
Enfant tu es tout à la fois
ce qu'ils ont dit et le contraire

LES NOYES DE LA MER DE CHINE.

Pour tous les réfugiés
Abusés comme entre les volcans
qui plissent le fond de la vague
ils ont usé leurs pieux sur les chimères
Promenade lustrée par tous les contes indiens
ils avaient percé les oreilles de la nuit
ils avaient limé leurs dents contre les épées
ils avaient affronté la meute grouillante des princes
de deuil
Eux qui chérissaient les hier
ils ont du rompre leur corset
et étrangler leurs illusions
Ils ont payé à l'inconnu
un tribut trop épais
de leurs doigts d'or qui se cassaient comme du verre
de leurs bras où tels les serpents
tapis dans la mer exotique
se roulaient les
émeraudes de la terre promise
Bornéo, Malaisie, Singapour : tant de noms d'écliptique
avec un stratagème lorsque tremble la voix
lorsque l'orage geint
tant de nuages oubliés qu'ils ne mireront plus
Paix ! car c'est l'aujourd'hui qu'on poignarde là-bas
car ces poumons que l'eau cisaille
c'est nous
tous ces squelettes qui mûrissent
entre les noeuds des madrépores
sous la caresse des moussons
c'est eux c'est nous
Paix ! car ils sont tes esclaves
mer serpente mer violente
avec pour bagage notre vie

ETREINTE

La nuit serpentine
tapie dans les douves
sur l'horizon des arbousiers
La lucarne est moite
fondent nos racines
le soleil plombe les moissons
Ta salive est mauve
la nuit volcanique
brise la houle des draps blancs
Roulés en cloporte
moi et toi ma mousse
dans l'haleine des palmeraies
Treize heures bourdonnent
au clocher des mouches
le nuit secoue ses grands jupons
Jonchée de jachères
comblées de congères
tes jambes sont ruissellement
La nuit serpentine
tapie dans les douves
sur l'horizon des arbousiers.

ARTIFICE DE LA FLORAISON

Renoncules !
assez timides pour être adolescentes
fleurs en foules
dans les jupons humides de la saison prochaine
dans le berceau des bourgeons endormis
foules en fleurs : femmes
prêtes à effacer le cartable des jours
à fredonner la guérison du gel
   (elle a posé sur la table de nuit
   les scarabées du quotodien
   elle a allongé un pas d'ambre
   vers les neiges sucrées
   qui fondent sous le poids du prince
   en haillons
   pour nous elle a dénudé la primevère
   elle a gémi entre les hivers démodés
   giboulées de haricots
   fèves de février
   renoncules !)
  
Georges FRIEDENKRAFT
in "Images d'Asie et de femmes", Editions de la Jointée, Paris, 2001, Prix Blaise Cendrars 2002 de la Société des Poètes Français.