Cette nuit, j'ai rêvé.
J'étais allongé dans l'herbe et me prélassais sous un soleil éblouissant. Puis, dès que la luminosité eut décru, j'ouvris les yeux. La température avait beaucoup chutté et je me rendais compte
qu'il faisait froid. Le ciel était complètement couvert et, par contraste, j'avais l'impression d'être au crépuscule. Alors, je me relevai pour observer les alentours. Mais tout n'était que
gazon, à perte de vue, couvrant la totalité des doux reliefs environnants. Scrutant l'horizon, je finis par apercevoir quelques arbres. Des arbres de plus en plus nombreux, à mesure que
j'habituais ma vue à la distance. Mais non, ce n'était pas normal. Plus je me concentrais sur cette lointaine forêt, et plus j'avais l'impression qu'elle était proche. Je détournai le regard pour
y revenir, et constatai qu'en effet, la masse végétale poussait à une vitesse incroyable, insupportable, dans ma direction. Comme montée sur un rail, elle serait bientôt là.
J'appréhendais la rencontre fortuite avec un tronc, mais celle-ci ne se produisit pas.
Et ainsi, j'étais dans les bois, égaré. Mais pas plus qu'avant. Quoi que l'ombre qu'avaient apportée les arbres avec eux ajoutait à une obscurité à laquelle je peinais à m'habituer. Et, à la
faveur de la nuit tombante, je devenais totalement aveugle. Je m'asseyais, déconcerté, impatient, jusqu'à y voir plus clair. Au début, je crus distinguer quelques nuages autour de moi, à bonne
distance. Mais à y regarder de plus près, une fois ma vision revenue, il s'agissait plutôt de halos de lumière, perdus dans la forêt, eux aussi. Je me dirigeai donc vers l'une d'elle, afin
d'éclaircir le mystère, dans tous les sens du terme. Mais celui-ci ne fit que s'épaissir lorsque je constatai qu'une lanterne était posée au sol, à côté d'une vieille clef ouvragée, et brûlait
son huile à éclairer un petit coffre, ouvert, sur lequel était penché un lutin, parfaitement immobile. La scène semblait figée, irréelle. Pour ne pas effrayer le petit personnage de ma présence,
je ne m'approchai pas et l'interpelai. Ce qui ne produisit aucun effet.
J'avais beau en venir aux cris, personne ne bougeait, personne ne parlait.
En m'approchant, je constatai que le bonhomme avait le visage figé dans une expression d'effroi inquiétante. Et son corps entier semblait pétrifié, comme fait de bois. Impressionné par un
spectacle aussi dérangeant, je ne pouvais m'empêcher d'esquisser un mouvement de recul. Mais mon pied heurta quelque chose. En me retournant, je remarquai la présence d'un autre de ces petits
lutins, figé également, dans une mise en scène strictement identique à la précédente. Je levai le regard, et constai qu'il y en avait maintenant partout, avec chacun sa lanterne, le tout
produisant une nappe de lumière inquiétante. La première surprise passée, j'observai plus attentivement les petites statues grimaçantes. Leur expression semblant encore plus affligée, plus
dégouttée, et je fus surpris de constater que leur bouche se tordait de plus en plus, de même que leurs yeux.
En réalité, tout le monde fondait, en commençant par les traits les plus marqués du visage.
Submergé par l'horrible situation, je ne parvenais pas à engager le moindre mouvement. Les arbres commençaient à fondre, eux aussi, et il me sembla que tout n'était plus que cires de couleur
s'entremêlangeant. Et quand je voulus fuir, mes pieds ne me le permirent pas. Piégés par la cire, ils n'étaient plus capables que d'immobilité. La panique ne devait pas m'aider, et les mouvements
brusques que me dictait ma nervosité ne changeaient rien à la situation. Quand je repris mes esprits, je tentais de sortir mes pieds lentement, l'un après l'autre, et j'y parvins. Mais désormais,
il me fallait rester toujours en mouvement, la moindre hésitation pouvant m'envoyer par le fond, au coeur d'une marée gluante toujours plus grande et de laquelle on ne ressort pas. A force de
courir, je finis pas perdre connaissance et m'étalais sur la pâte infâme. Le choc me renvoya à la lucidité, pour me permettre de constater que tout autour de moi n'était plus que gazon, à perte
de vue.
Et tout semble vouloir recommencer, perpétuellement.
Lorsque je me réveille, je suis en nage, emmêlé dans la verdure du blanc de ma literie. La sensation de vide m'accompagne, et je me lève, las, après m'être dépétré des tissus envahissants. Dans
la salle de bain, ma première escale du matin, il n'y a plus de lumière. Je repars à tâtons pour attraper un volet et l'ouvrir, mais il fait encore trop sombre pour me permettre d'éclairer toute
la maison. Alors, je récupère une lampe de poche et me dirige vers le disjoncteur. Ca fait si longtemps que ce n'était pas arrivé. Lorsque j'ouvre la trappe, un objet s'en échappe et tombe sur
mon pied. La douleur l'envahit tandis que je baisse le faisceau lumineux afin de voir de quoi il s'agit. C'est une vieille clef, assez habilement décorée pour qu'on la croit sculptée, qui vient
de m'écraser un orteil. Je la ramasse et l'observe. Alors, c'est ici qu'elle l'avait cachée.
Puis je souris, je ne suis plus seul.