Ce qui est bien avec les vacances, c’est qu’on peut exploiter les étudiants… et là en l’occurrence c’est la fille de ma patronne qui vient nous aider au rangement avant de recommencer la fac sous peu [ndlr : « elle fait son droit »]. Mais bon, il n’empêche que certains patients lui tendent leur ordonnance ; elle leur répond qu’elle n’est pas pharmacienne et nous passe la suite (je note au passage une découverte fondamentale : la transmission du savoir et des compétences est génétique !.. passons). Mais cette fois, la réponse est toute autre :
« Auf ! Il n’y a qu’à lire la liste ! lui répondit la patiente, un brin impertinente (enfin à mon goût)
- Je vais quand même m’en charger… » rétorquais-je et elle me tendit les deux ordonnances.
La première concernait du tamoxifène 20mg (NOLVADEX®), traitement préventif des récidives ou traitement des carcinomes du sein des formes évoluées avec progression locale et/ou métastatique ; on peut pas dire que ce sont des Smarties®… (dans ce cas précis, c’était le traitement de prévention des récidives qui dure cinq ans après le traitement du cancer)
Et intérieurement, vu qu’elle venait de sous-entendre que je n’étais bon qu’à poser une boîte sur un comptoir, qu’elle aurait très bien pu allé chercher elle-même, que je suis rancunier comme un poux, que je n’ai plus de boulot dans dix jours, et que je préfère manger mon plat de vengeance bien chaud, je me suis dit « tu vas voir, à tout les coups, quand tu va lire la seconde ordonnance, tu vas y trouver une belle interaction ! » Pas loupé ! La seconde ordonnance était pour de la terbinafine 250mg(LAMISIL®), un traitement pour les mycoses des ongles. Je ne prends même pas la peine de sortir les boîtes et la prévient que je vais contacter son médecin généraliste pour un éclaircissement.
« Ce n’est pas la peine, le Dr R. est un très bon médecin, il sait ce qu’il fait ! me rétorqua-t’elle
- Je vais quand même l’appeler. » Dans ces cas là ; il faut garder son calme… même si on a envi de lui balancer sa carte vitale à la figure… çà demande un gros effort, croyez-moi !
Je contacte le médecin. Il me répond avoir vérifié au Vidal® si il n’y avait pas d’interaction entre le tamoxifène et la terbinafine. Certes, elle n’est pas au Vidal®, mais la terbinafine est un inhibiteur du cytochrome 2D6. Or le tamoxifène est transformé en un métabolite actif, le 4-hydroxytamoxifène dont l'activité anti-estrogène est puissante : son affinité pour les récepteurs de l'estradiol (cible du traitement de prévention des récidives) est en effet 100 fois supérieure à celle de la molécule-mère ! En gros, c’est lui le plus important et le fait de prendre en même temps de la terbinafine fait qu’il est moins présent dans le corps car moins produit. Donc le traitement pour la prévention de la récidive du cancer du sein est moins efficace.
Là-dessus, le médecin me demande si j’en suis sûr après un petit silence qui voulait dire y-en-a-marre-des-pharmaciens-ils-trouvent-toujours-une-interaction-quelque-part. Je lui réponds qu’évidemment, qu’il peut trouver l’information sur le site de la pharmacovigilance de Genève, et que si il a un doute, je peux contacter le Centre Anticancéreux Léon Bérard pour confirmation. Dès lors, il décida de supprimer sa prescription et la remplaça par un traitement local.
La patiente hésita à prendre le nouveau traitement… et partit amer voire en colère.
En conclusion, je viens de passer pour un empêcheur de tourner en rond rancunier présomptueux puisqu’il s’est cru plus intelligent qu’un médecin. Je risque aussi d’avoir fait fuir une cliente.
Si on voit un peu plus loin : combien même je n’ai pas sauver la vie de cette dame, ni l’ai soigné d’ailleurs, j’ai simplement sauvegardé le traitement essentiel. Il y a bonne pratique de prescription.
Et ben cette histoire a coûté de l’argent à la pharmacie car, au final, je lui ai délivré une boite de LOCERYL® à 29,87€ à renouvellement tous les mois et demi voire deux mois au lieu d’une boite de terbinafine à 32,31€ à renouvellement mensuel (à quand la rémunération à l’acte !); j’ai peut-être perdue un cliente ; et non des moindre je me suis quasiment fait engueuler et donc j’ai été de mauvaise humeur toute la journée ! Alors que si elle était allez voir un confrère ou si tout simplement, une autre personne de l’équipe l’avait servi, tout ceci ne serait pas arrivé… Au fond c’est toujours un peu la même histoire (ici, ici et là et pis là et ici), on veut juste être reconnu pour ce qu’on sait faire. Les gens nous voient comme des « petits médecins pour la bobologie » alors que personnellement, çà c’est n’est pas mon job : mon job c’est le médoc, et m’assurer qu’il soit bien prescrit, bien pris et qu’il agisse correctement !
C’est pourquoi je terminerais par cette phrase de Djamel Debbouze (grand philosophe s’il en est) entendue ce matin à la radio su France Info : « Il faut être prétentieux, à condition d’être à la hauteur de sa prétention »