Martyrs

Par Luc24

Votre Voisin Blogueur peut être trouillard. Je l’avoue : j’avais volontairement omis d’aller voir Martyrs, film qui a déclenché la polémique avec son hypothétique interdiction aux moins de 18 ans. Malgré le buzz, j’avais peur. On m’avait parlé d’une scène où quelqu’un se tranchait les veines, et étant donné que la vue des veines me fait tourner la tête (chacun ses obsessions) je préférais m’abstenir. Mais un ami de Radio Campus Paris a eu la bonne idée de nous trainer dans une salle pour découvrir le film controversé de cette rentrée. J’en suis revenu, je suis vivant et je partage avec vous mon avis.

La critique  

 Malgré ses défauts, un film choc et étouffant

Dans les années 70 surgit une jeune fille ensanglantée. Elle s’appelle Lucie (Mylène Jampanoï) et elle vient de réussir à s’échapper d’un endroit effroyable où de mystérieuses personnes la torturaient pour le plaisir. Définitivement traumatisée, elle finit dans un hôpital. C’est là bas qu’elle fait la connaissance d’Anna (Morjana Aloui). Cette dernière deviendra sa seule amie, la seule à l’écouter et, croit-elle, la comprendre. Quinze ans plus tard, les deux jeunes femmes débarquent chez une famille ordinaire prenant son petit déjeuner. Lucie les butte tous en deux minutes. Lorsqu’Anna découvre les dégâts, elle prend peur. Lucie est persuadée que le père et la mère de cette famille étaient ses agresseurs. Elle les a abattus pour se venger mais surtout pour satisfaire une sorte de morte (qui s’apparente à un monstre)qui la poursuit. En voyant Lucie en plein délire d’automutilation, Anna a un doute. Et si toute cette histoire de torture n’était issue que du fruit de son imagination ? Pas le temps de réfléchir : Lucie se donne la mort. Dévastée, Anna découvre alors dans la maison un passage souterrain. On y voit des photos de gens torturés, une chaise avec un trou pour faire ses besoins et dans le fond une femme. Cette dernière a presque la chair à vif et ressemble plus à un chien qu’à un être humain. Anna comprend que l’histoire de Lucie n’était pas du bluff. Mais il est peut être trop tard : les « partenaires de jeux » du couple assassiné sont en route et ils comptent bien faire d’Anna leur prochain martyr…

La possibilité d’une interdiction aux moins de 18 ans aura déclenché les passions autour de Martyrs de Pascal Laugier (réalisateur du très médiocre Saint Ange). Bénéficiant d’un véritable buzz, son film se révèle en effet traumatisant mais non exempt de défauts. Face à la première partie, nous restons perplexes. Rythme assez lent, interprétation borderline de Mylène Jampanoï, utilisation d’effets de genre éculés. On attend le choc, on ne le voit pas venir. Le « monstre » qui poursuit Lucie (et qui est en fait la figure d’une fille morte que Lucie aurait pu sauver lors de son évasion mais qu’elle a « abandonné ») prête plus à rire qu’à avoir la chair de poule. Au milieu de l’hystérie dans laquelle le réalisateur plonge son duo d’actrices, difficile de trouver ses marques. Et puis Lucie meurt. C’est vraiment là que Martyrs commence. Deux chemins, deux perceptions possibles. Soit Anna sombre à son tour dans la folie suite au décès de son amie, soit elle découvre bel et bien la vérité sur ce groupe de tordus pour qui la torture de victimes mène à l’extase.

Une fois qu’Anna découvre le souterrain, Laugier déploie une atmosphère cauchemardesque et étouffante que l’on avait plus ressentie depuis des années face à un film de genre français. C’est sombre, glauque et sans espoir. Anna va devenir Martyr. Mais quel est donc le concept si décrié de ce film ? Une bande de sadiques enferme des jeunes victimes et les soumet à des humiliations et violences de plus en plus grandes et insupportables. Jusqu’à ce que le corps lâche, que l’esprit s’incline. L’humain entre alors dans un nouvel état et, dans les cas les plus « glorieux », il entre en transe et communique avec l’autre monde. Ces gens dégueulasses qui s’en prennent à d’innocentes victimes effectuent donc les pires atrocités, juste pour le plaisir d’observer l’espace de quelques instants la grâce d’un corps totalement abandonné. La référence religieuse ne pouvait que susciter la polémique, de plus que la définition finale qui affirme qu’être Martyr c’est être avant tout un « témoin ». On laisse passer ou pas le propos mais en tout cas force est de constater que nous sommes là devant une œuvre coup de poing d’un sadisme rare. La pauvre Anna va être attachée, frappée et mutilée (ils iront jusqu’à lui enlever la peau !). Laugier avec ce film se dévoile comme un cinéaste à l’esprit créatif malade. Voir l’être humain forcé de se laisser conditionner par des bourreaux et perdre la tête ne peut laisser indifférent. En « Martyr exceptionnel », l’actrice Morjana Aloui force le respect. Par ses regards et ses gestes elle nous transmet toute la douleur que traverse Anna, cette femme qui a renoncé. Elle a perdu la fille qu’elle aimait le plus au monde, elle sait qu’il n’y a plus d’espoir et elle a décidé de rester le plus digne possible dans la torture…

Si dans sa réalisation Martyrs ne fait pas de miracles (certains effets kitsch assez grossiers sont mêmes déployés – « l’illumination » est d’une sacrée ringardise), il réussit néanmoins à placer le spectateur dans un état d’effroi profond. Ceux qui vont voir ces films pour avoir peur et être dérangés seront servis.