Le premier tome VF de The Boys est maintenant disponible. Six épisodes menés de main de maître par l’excellent Ennis, plus percutant que jamais.
Les super-héros causent des dégâts. Beaucoup de dégâts. Et en plus, ils s’en foutent. Parce que, dans la vraie vie, le sens des responsabilités n’est pas automatiquement livré avec les pouvoirs. Pour faire tenir tous ces connards en place, il y a Butcher, la Fille, la Crème et le Français. Tous bossent pour la CIA. Et la plupart sont si bons qu’ils font peur même aux encapés. Alors, quand Hughie se voit proposer de rejoindre l’équipe, il accepte. Parce qu’il a de bonnes raisons d’en vouloir aux surhumains mais, aussi, parce qu’il n’a pas vraiment le choix. Quitter l’Ecosse pour New York ne sera pourtant pas le changement le plus radical dans la vie de Hughie car, dans son nouveau boulot, il sera confronté à une réalité dont les comics ne parlent pas.
Garth Ennis (Preacher, Ghost Rider, Punisher) est de retour dans le style qui lui convient le mieux : le trash. Mais attention, pas le trash bête et méchant mais le trash intelligent et méchant. Le seul que l’on savoure vraiment en fait. Alors, oui il y a de la violence, oui il y a du sexe (beaucoup de sexe même, et pas dans le style romantique si vous voyez ce que je veux dire), mais tout cela est placé dans un contexte qui permet non seulement de justifier les excès mais aussi de les rendre parfois plutôt drôles et même totalement indispensables au propos. Les héros dépeints par Ennis sont sans doute les plus humains que vous ayez jamais vus. Ils ont des défauts, ils aiment le cul, sont violents, vantards, pratiquent le harcèlement sexuel (d’une manière fort directe ma foi), bref, ce sont des super-connards (ce qui est statistiquement assez réaliste remarquez). Là vous allez penser que les « vrais » gentils sont alors ces fameux types de la CIA ? Ben, oui. Et non. Car eux aussi sont humains, même si leur côté « sans pouvoirs » les rend sans doute plus sympathiques.
Alors, mince, c’est une histoire sans gentils alors ?
C’est surtout une histoire sans manichéisme et sans le côté donneur de leçon d’un Moore par exemple. Car ce qu’Ennis fait ici, c’est tout simplement nous montrer ce qui se passe après le mot « fin » de l’histoire, en dehors des caméras et des versions officielles, une fois les comics refermés et les volets tirés. Il nous dit, avec une grande finesse, qu’un Captain America tel que nous le connaissons, ça n’existe pas, pas plus qu’un Peter Parker. Il répond à la fameuse question « who watches the watchmen ? » tout en nous démontrant que ceux qui nous gardent de nos gardiens seront amenés, eux aussi, à susciter la crainte et la haine. Bref, dans une histoire ultra-vitaminée et peu versée dans le politiquement correct, il assène quelques vérités avec une subtilité qui échappera sans doute à ceux qui ne verront ici qu’un gros défouloir. Mais qu’importe, les deux niveaux de lecture existent et peuvent cohabiter sans se nuire.
J’en viens à qualifier The Boys de chef-d’œuvre, dans le titre de cet article, non parce que je suis emporté par l’enthousiasme mais bien parce que je vois là une histoire maîtrisée, à la profondeur rare, qui se paie en plus le luxe d’être divertissante. Et là où Ennis emporte mon respect, c’est lorsqu’il fait passer ses idées (et il en a le bougre !) sans jamais les imposer de manière bourrine mais, au contraire, en changeant simplement l’éclairage de scènes pourtant vues et revues.
Et, classe ultime,l’auteur se permet de passer, aux yeux de ceux qui ne feront qu’effleurer son travail, pour un adepte de l’outrance, forcément synonyme de ventes, alors qu’il étourdit nos yeux et choque nos esprits pour amener notre réflexion très exactement là où, lui-même, s’est enhardi. Car s’il explose, avec un plaisir non dissimulé, l’imagerie traditionnelle du héros exempt de reproches et presque asexué, il parvient à le faire sans pour autant nous chanter les traditionnels refrains de l'anti-fascisme mais, au contraire, en quittant le terrain idéologique et parcouru mille fois pour plonger, sans réserve, dans un quotidien terre-à-terre bien plus dérangeant car, au final, bien plus proche des véritables dérives liées au pouvoir et à son ivresse. Parvenir à inquiéter sans affoler, à interroger sans ennuyer, à instiller le doute sans jamais malmener, voilà un exploit rare et peu souligné, peut-être parce qu'il faut déjà comprendre les stéréotypes et les tentatives prétendument transgressives avant de pouvoir discerner le vrai bon grain, humble par nature, de l'ivraie, putassière par dépit. Cette saga nous offre non seulement un fond à deux lectures mais aussi une forme double (à la fois rustique dans l’aspect mais subtile dans l’effet), ce qui est excessivement rare, quel que soit le support. A force de m’extasier sur la prouesse d’Ennis, j’en ai oublié de citer Darick Robertson, le dessinateur, qui s’acquitte fort bien de sa tâche et reprend même, pour le personnage principal, les traits de l’acteur et scénariste anglais Simon Pegg (vous le connaissez si vous avez vu Shaun of the Dead par exemple). Le gars, pas prévenu à la base, prendra cela plutôt bien et se fendra même d’une préface présente dans ce volume.
Un livre à posséder absolument pour qui s’intéresse, même de loin, à la mythologie super-héroïque et à son évolution moderne. L’auteur, avec un talent exceptionnel, parvient même à nous faire oublier qu’il nous fait réfléchir sur les codes habituels des comics grâce à une narration efficace et étonnante qui fait prendre un sacré coup de vieux aux séries les plus actuelles.Un futur classique qui ne prend pas le lecteur pour un demeuré et ne l’oblige pas à se trimballer des kilos d’idées préconçues sous le fallacieux prétexte d’un discours « adulte ». Ennis vient de prouver que l’on pouvait s’adresser à tous les lecteurs sans en prendre un seul pour un con. C’est un tour de force qui mérite, sinon l’admiration (après tout, il y a aussi une histoire de goût dans l’adhésion à un comic), du moins le respect.