Scène 13
Les mêmes, plus la Petite Ourse et tout le tremblement
LA PETITE OURSE (Charmante)
Comment vont nos amies ? Sont-elles bien traitées ?
A-t-on bien vérifié qu’elles ont bien mangé ?
On dirait par ma foi que cette claustration
Leur a fort profité. Le teint est plus que rose
Et l’embonpoint vraiment arrogamment s’expose.
N’auriez-vous donc pas pris un petit peu de poids ?
LA MADONE (Méprisante)
Nous sommes encor loin de vos vaillants exploits.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Ne cherchez pas sur moi trace de cellulite.
Je suis, quant aux repas, digne des carmélites.
J’ai fait vœu de minceur à défaut de silence
Et ne voit dans le gras que pure pestilence.
LA PETITE OURSE
Que cela est bien dit ! Vous avez droit, ma chère,
A mon admiration et je suis très sincère.
LA MADONE
Cessez donc votre jeu et venez-en au fait.
Pourquoi êtes-vous là ? De quel nouveau forfait
Venez-vous nous parler ?
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Oh, sois plus diplomate.
Plutôt que de gueuler comme une vraie primate
Demande poliment ce qu’on nous veut céans.
LA PETITE OURSE (s’asseyant dans un fauteuil)
Mais je veux simplement, avec vous gentiment,
Est-ce donc étonnant, bavarder un moment.
LA MADONE
Mais qu’avez-vous en tête et que nous voulez-vous ?
Nous sommes retenues par vos ordres chez vous.
Notre futur prochain dépend de vos désirs
Alors je vous le dis : parlez tout à loisir.
LA PETITE OURSE
Votre sort, il est vrai, au mien est attaché
Et si je suis vainqueur, vous serez libérées.
Mais le destin, je crois, s’acharne un peu sur vous :
Cunégonde et ma sœur, faisant fi des remous
Et des très grands dangers que cette décision
Fait peser sur vos vies et sur vos illusions,
Ont refusé l’accord que je leur proposais,
Préférant le combat à toute offre de paix.
LA MADONE
Elles ne font ma foi que suivre votre exemple.
Vous fûtes la première à souiller le beau temple
De la fidélité à votre reine due.
Ne vous étonnez pas : ce n’est là qu’un rendu.
Quand de la trahison on fait sa meilleure arme,
Quand on complote ainsi et qu’on jette l’alarme
Au milieu d’une cour, qu’on détrône une reine,
Qu’on méprise les lois et qu’on répand la haine,
Peut-on donc s’offusquer de se voir rejeté
Et comme un renégat se voir considéré ?
LA PETITE OURSE
J’admire cet esprit aussi rhétoricien.
Mais il est sans effet : je vous connais trop bien.
Il est vrai le pouvoir a sur moi tous ses charmes
Et pour lui, moi aussi, je fais bien du vacarme.
Vos merveilleux discours, vos promesses orales,
N’ont-ils pas le pouvoir pour optique finale ?
LA MADONE (Avec hauteur)
M’avez-vous déjà vue tenter un coup d’état ?
LA PETITE OURSE (éclatant de rire)
O ma chère Madone, il faudrait pour cela
Que vous ayez l’appui de votre grande armée.
Et ce n’est pas demain que tous les hauts gradés
Vont se mettre à genoux devant votre photo.
LA MADONE (Outrée)
Bestiole impertinente, abominable veau !
Comment donc oses-tu parler ainsi de celle
Que le pays entier…
LA PETITE OURSE (la coupant)
Prend pour une crécelle
Et qui depuis longtemps a cessé d’écouter
Celle qui un beau soir s’est fait ratatiner
Par un caractériel qui ne supporte rien,
Qu’il faut réprimander, tel un méchant vaurien ?
(Elle se lève)
Tous les deux vous donnez un bel exemple au monde.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Leur image, il est vrai, semble bien moribonde.
Avant que BHL en enfer ne rôtisse,[1]
Il me disait toujours…
LA MADONE
C’est une vraie jaunisse.
Dans les discours sérieux il faut qu’elle intervienne.
LA PETITE OURSE
Il serait malséant qu’ici elle s’abstienne
Car elle dit tout haut ce qu’on chuchote bas :
Plus de grandeur chez vous, rien que de petits bras.
Mais cessons de parler image politique.
Revenons au sujet : pour me faire la nique
Ma sœur a décidé de lancer sur mes troupes
Avec pour tout secours votre sénile groupe
Une attaque soudaine et vraiment suicidaire
Puisqu’elle se fera complètement défaire.
J’ai le nombre pour moi, de même que les armes.
Cette guerre pourtant au fond n’est pas sans charme
Car elle permettra, sans que rien ne nous freine,
De prendre le palais, de me couronner reine.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Cunégonde vaincra. Et Fifi le vaillant
Fondra sur votre armée tel un grand vent bouillant.
LA PETITE OURSE
Toujours pleine d’espoir, même après ces trois mois ?
Incurable, vraiment.
LA MADONE
Mais fidèle à sa foi.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Oh que ce compliment me touche et me ravit !
Donne ta main, ma sœur.
LA MADONE
Volontiers. La voici.
(Elles se serrent la main.)
LA PETITE OURSE
Ce spectacle est touchant, et je retiens mes larmes
Quand à deux ennemies, je vois rendre les armes.
Mais les nouvelles sœurs voudront bien, s’il leur plait,
Ecouter un instant quelques mots de mon fait.
Elles vont revêtir leur manteau de fourrure
Car nous changeons de lieu et ce à grande allure.
LA MADONE
Tiens, tiens ! Auriez-vous peur ?
LA PETITE OURSE
De ces pauvres guignols ?
Vous plaisantez, je crois. Mais je veux, sur ce sol,
Faire à nos assaillants une réception*
Digne de leur grandeur. Ce sera l’ovation.
Allons, dépêchez-vous. Votre nouveau cachot
Vous attend plus au nord.
LA MADONE (se levant)
Gardé par des manchots ?
C’est cela votre plan : attirer dans un piège
Celle dont vous craignez que ses gens vous assiège ?
LA PETITE OURSE
Cessez de blablater. Vous en aurez le temps
Lorsque de mon pouvoir vous serez le garant.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (enfilant son manteau, bas à la Madone)
C’est une horrible chose ! Il faut les prévenir !
LA MADONE (idem)
Mais comment, juste ciel ? Comment donc la trahir ?
LA LANGOUREUSE ARIELLE (idem)
En laissant sur la neige une trace opportune.
Un mouchoir, un collant, ou bien un cache lune.
LA MADONE (idem)
Ah, le petit Poucet leur sauvera la vie !
Je vais de ce mouchoir faire de la charpie
Et semer les morceaux sur la neige glacée.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (idem)
Espérons que le vent ne les fasse envoler.
LA PETITE OURSE (menaçante)
Que déblatérez-vous ?
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Je fais une prière.*
LA PETITE OURSE
Vous en aurez besoin ; votre grande carrière
Me parait tout à coup vraiment fort compromise.
En route maintenant. (A la Madone) Fermez votre chemise.
Car je ne voudrais pas que de si beaux otages
S’enrhument le cerveau, ce serait bien dommage.
(Tout le monde sort, la Madone et la Langoureuse encadrées par les gardes.)
(A suivre)
[1] Voir Cunégonde en Enfer, catégorie conte politique.