Il faut plisser les yeux, reculer, se concentrer, accommoder. Au mur, ce ne sont que des chaussures, ballerines noires pour la plupart, quelques-unes avec des fleurs colorées, qui se pourchassent d’un mur à l’autre dans une ronde endiablée. Spectateur imbécile, on regarde les chaussures en se grattant la tête, jusqu’au moment où le regard se pose, où le labyrinthe devient lisible, où le sens se décode, où l’amertume triste du message se dévoile.
Auparavant, on est passé dans un maelström, un tourbillon plein d’écueils où on doit frayer son chemin au milieu de 80 sèche-cheveux pendant du plafond; on avance dans cet autre labyrinthe, mais à chaque instant on est agressé, attaqué, bousculé par une langue jaune, noire ou rouge qui aléatoirement se propulse hors de la bouche d’un sèche-cheveux ou d’un autre. Il faut négocier son chemin, trouver un havre de paix dans ce monde tumultueux, rester néanmoins sur ses gardes face à une éventuelle langue déviante, mais enfin jouir de la brise fraîche.
Le soir du vernissage, derrière des murs de glace opaque, l’artiste invisible, paraît-il, brodait; je ne suis pas retourné voir ses travaux. Devant ces barrières glaciaires, un thermomètre géant barrait la route, et le poisson rouge qui l’habitait montait la garde, allant de long en large.
L’artiste chinoise Shen Yuan construit ainsi une oeuvre énigmatique et poétique, qui charme et qui dérange, loin de toute évidence. C’est chez Kamel Mennour jusqu’au 18 octobre.
Shen Yuan étant représentée par l’ADAGP, ces photos seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.
Photo 1 : Uncomfortable shoes (Elles sont parties pourtant elles n’ont nulle part où aller), Installation : chaussures chinoises. Dimensions variables.
Photo 2 : Paroles brèves, 2008, Installation : 80 sèche-cheveux et tissus. Dimensions variables.
Photo 3 : Poïkilotherme, 2008, Installation : Thermomètre en verre de Murano, eau et carpe koï. 302 x 18 x 22 cm.
© Shen Yuan. Courtesy the artist and Kamel Mennour.
Photos 1 &2 Marc Domage. Photo 3 de l’auteur.