Rappel des faits:
Pour des raisons que nous aimerions éclaircir ci-après, plusieurs associations, dont la Wizo, ont envoyé une lettre à Tzipi Livni, Ministre des affaires étrangères de l'Etat d'Israël, pour se plaindre de l'attitude de l'ambassadeur à Paris qui en gros ne se serait pas montré assez prévenant et présent envers les manifestations organisées par ces associations.
En réponse à cela, les présidents des principales institutions juives de France (CRIF, FSJU, Consistoire, Alliance,...) ont publié une page entière de remerciement dans ActuJ à destination de l'Ambassadeur pour le fantastique semestre 2008 que la France et Israël ont connu: visite d'Etat de Shimon Peres en France, visite d'Etat de Nicolas Sarkozy en Israël, Israël invité d'honneur du salon du livre, etc, etc...
Qu'est-ce que tout cela cache ?
Il y a la version officielle: l'Ambassadeur Shek se considère comme l'ambassadeur de son pays (heureusement), mais uniquement cela. Oui et alors ?
Eh bien nous sommes en France dans un pays où la communauté juive considère que l'Ambassadeur doit aussi être le représentant d'Israël auprès des Juifs de France. Et il est vrai que depuis de longues années, on a pris l'habitude de voir l'Ambassadeur d'Israël assister aux dîners de gala de la Wizo, du Bnai-Brith, de l'anniversaire de telle ou telle communauté de banlieue ou de province.
Or, Daniel Shek a choisi d'orienter son mandat de manière plus affirmée vers les personnalités politiques et institutionnelles françaises. Objectif: faire en sorte que la diplomatie française soit plus réceptive à la vision israélienne et que le peuple français découvre progressivement une image plus positive d'Israël, de sa culture et de son environnement. Pari réussi, si l'on en croit le succès du Salon du livre, l'accroissement des accords bilatéraux sur le plan universitaire et culturel ou le léger infléchissement médiatique des journalistes lorsqu'Israël est à la une. Mais bien évidemment, en orientant son énergie sur la France et ses institutions, l'Ambassadeur a fâché les mondains. Il ne se montre que peu dans ces soirées d'auto-congratulation et d'auto-conviction que l'existence de la diaspora française est cruciale pour la survie de l'Etat d'Israël.
Car soyons lucides: si la communauté juive américaine est encore une entité fondamentale pour les intérêts de l'Etat d'Israël, tant en terme de fundraising que d'influence sur la politique intérieure des Etats-Unis, on ne peut clairement pas en dire autant de la France.
Numériquement, les Juifs de France sont moins nombreux, moins riches et leur influence sur la politique étrangère de leur pays est à peu près nulle, malgré les efforts récurrents du CRIF.
Si l'on prend le sujet de manière froide, il n'y a donc absolument pas d'intérêts majeurs pour l'Ambassadeur d'aller engloutir des petits-fours avec Nathalie Cohen-Beizerman, Présidente de la Wizo et un des protagonistes principaux de cette micro-affaire.
L'explication officielle est donc que ces associations sont vexées et côté Ambassade, on le dit un peu moins fort, mais on ne s'en porte pas plus mal.
Shek: un empêcheur de "scandaliser" en rond ?
Y a-t-il une autre explication ? Pour ça, il faut expliquer comment s'est passée la dernière assemblée générale du CRIF où l'Ambassadeur Chek était convié pour présenter les résultats du premier semestre 2008 dans le domaine des relations entre la France et Israël. Évidemment, résultats extrêmement positifs.
C'est la première fois que je voyais Daniel Shek parler et je dois avouer que j'ai été très positivement surpris par la qualité de son intervention. Son français est parfait en même temps qu'élaboré. Ses positions sont nuancées et toujours argumentées. De l'humour souvent. Bref, honnêtement on peut considérer que Daniel Shek, de par sa présentation et ses résultats est un excellent ambassadeur d'Israël en France.Je m'attendais donc, après son discours à des bravos, des compliments plutôt convenus dans une assemblée plutôt composée de sympathiques notables.
Erreur ! Qu'est-ce que je n'ai pas entendu ! Rendez-vous compte: les intervenants à la session de questions/réponses n'étaient pas contents du discours de Sarkozy à la Knesset. Vous comprenez, il a parlé de Jérusalem, des réfugiés, etc, etc...
Untel qui s'arrogeait le droit de parler au nom du "peuple juif de Paris" (je ne savais pas qu'une telle association était membre du CRIF, on en apprend tous les jours) pour exprimer sa crainte de voir les réfugiés palestiniens remplir les villes israéliennes de Tel-Aviv ou Richon Letsion comme, disait-il, semblait le permettre une phrase douteuse de Nicolas Sarkozy dans son discours, un autre, pourtant membre du bureau exécutif (!) qui soumettait l'idée saugrenue de voter en séance une motion de soutien à l'indivisibilité de la ville de Jérusalem, ou encore une longue diatribe sur l'erreur historique que serait l'ouverture des discussions avec la Syrie concernant le plateau du Golan.
Daniel Shek a plus d'expérience que moi. Personnellement, j'étais assez stupéfait. Je ne pensais pas entendre dans une assemblée du CRIF des critiques aussi virulentes de Nicolas Sarkozy, notamment venant de personnes qui l'ont défendu à tout prix lors de la campagne présidentielle ! Mais Daniy Shek apparemment savait où il mettait les pieds. Et, sans jeu de mots, il a lutté pied à pied. Il s'est presque livré à un commentaire de textes exhaustif du discours de Sarkozy pour montrer en quoi sur la plupart des sujets il y avait convergence de vues avec le gouvernement israélien.
Il a même, diplomatiquement bien sûr, laissé entendre aux dirigeants du CRIF qu'il fallait parfois ne pas réagir trop impulsivement, notamment dans les médias, pour ne pas gêner l'action d'Israël, qui est somme toute l'élément le plus crucial dans l'affaire. Par exemple, lorsque le CRIF a produit un communiqué reprochant au Président d'inviter Bachar El-Assad au défilé du 14 juillet, alors qu'Israël était justement en train de dialoguer indirectement avec lui.
Bref, bizzarement, on aurait dit qu'une partie de l'assemblée du CRIF avait plus en tête la défense de ses propres fantasmagories concernant Israël, que l'intérêt premier de celui-ci représenté par son ambassadeur.
Somme toute, cela rejoint une thèse classique: lorsqu'on enlève à un Juif le judaïsme (peu de kippas à l'Assemblée générale du CRIF) et la lutte contre l'antisémitisme (comment ? On ne peut plus s'indigner d'une invitation de Bachar-El-Assad à Paris?), qu'est-ce qui reste ? La Shoah ? le folklore Yiddish ou Marocain ? Oui, un peu de tout cela, mais surtout il reste l'attachement pulsionnel et émotionnel à Israël qui finalement exclut toute considération pragmatique sur l'avenir de ce pays.
Il se pourrait que cette initiative encore jamais vue à l'encontre d'un Ambassadeur d'Israël en France soit la conséquence directe d'une crainte identitaire: si le premier des représentants d'Israël nous empêche de nous scandaliser, de manifester, de produire des communiqués de presse pour défendre l'Etat Juif, qu'est-ce que je deviens ? Un simple juif français spectateur du monde qui avance et très peu sollicité par les véritables acteurs du conflit ?
Lorsque j'ai entendu ces glorieux notables monter au créneau pour essayer de faire dire à Daniel Shek que le discours de Sarkozy à la Knesset était dangereux, j'ai essayé de trouver un adjectif qui décrirait précisément le sentiment que j'éprouvais. Je n'ai pas mis longtemps à le trouver: pathétique.