Un hôtel indien, la pension Mukti Bhawan, « la maison du salut », propose à ses clients quinze jours pour mourir. Cette pension se trouve à côté du Gange, là où des hindous espèrent mourir sur un des bûchers funéraires allumés chaque jour. Le plus souvent les autres hôtels les refusent. Cette pension a donc trouvé un moyen de transformer l’acte suicidaire en valeur d’échange.
C’est une version grimaçante de ce que nous pouvons lire par ailleurs dans le roman de Teulé. Cette pension indienne est choquante par son cynisme et surtout le fait que la religion vient dans ce cas justifier d'inavouables mobiles de la part des proches du suicidaire. Derrière ce masque se trouvent des idées matérialistes, la vie de l’homme étant ravalée au niveau du déchet qu'il faudrait éliminer.
Nous sommes là à l'opposé des actions promues par Kristeva.
Extrait
Notre aimable clientèle est priée de bien vouloir mourir dans les quinze jours
« Accroupi par terre dans sa chambre, Narayan fait frire des piments sur un réchaud portable. A côté de lui, sa mère, Manorama Devi, 80 ans, est allongée sur un châlit de bois, inconsciente, haletante. “C’est la vieillesse. Elle a vécu longtemps. Alors, comment puis-je être triste ? confie Narayan. Kashi (Bénarès) est un lieu très important. Il y a beaucoup de temples. Je suis heureux que ma mère puisse mourir ici.” La famille de Devi ne paiera que la nourriture et l’électricité. Car les familles les plus pauvres ne paient rien pour la location de la chambre ». (…) Entre 30 et 70 personnes meurent chaque mois. (…)
Prédire la date d’un décès n’est pas une science exacte : choisir le moment de se rendre à Mukti Bhawan tient du pari. “Les gens qui viennent pensent que la mort est proche, mais si elle tarde, ils sont dans la mouise”, explique Shukla.
La famille de Ram Bhog Pandey, 85 ans, commence à être nerveuse. Voilà dix jours que cet ancien instituteur d’un village du Bihar gît sur le sol de sa chambre à Mukti Bhawan. “On l’a amené ici quand les médecins nous ont dit qu’il n’y avait plus d’espoir pour lui”, raconte Daya Shankar, le fils aîné de Ram, qui allumera le bûcher funéraire quand le moment sera venu. Si le vieil homme ne meurt pas dans les prochains jours, il faudra le ramener au village en train. La famille ne peut rester trop longtemps loin de la ferme. “Ce serait vraiment regrettable que mon père ne rende pas son dernier soupir à Bénarès, confie Daya Shankar. Mais qui sait, il aura peut-être une autre chance à la fin de sa prochaine vie ?”
Jonathan Allen
Hindustan Times
Courrier international - n° 871 - 12 juil. 2007