L'inédit de Rimbaud

Par Adadala

Pour ceux qui ne l'auraient pas lu, un poème attribué à Arthur Rimbaud qui aurait été rédigé en 1870 (le poète avait alors 16 ans) du temps où il envoyait des textes au journal Le Progrès des Ardennes
Prodigieuse découverte d'un cinéaste belge, Patrick Taliercio, qui projette de réaliser un documentaire sur Rimbaud, ce poème se veut une caricature de l'occupant prussien mais aussi du bourgeois parisien. 
«Le rêve de Bismarck (Fantaisie)»

C'est le soir. Sous sa tente, pleine de silence et de rêve, Bismarck, un doigt sur la carte de France, médite; de son immense pipe s'échappe un filet bleu.
Bismarck médite. Son petit index crochu chemine, sur le vélin, du Rhin à la Moselle, de la Moselle à la Seine; de l'ongle il a rayé imperceptiblement le papier autour de Strasbourg ; il passe outre.
À Sarrebruck, à Wissembourg, à Woerth, à Sedan, il tressaille, le petit doigt crochu : il caresse Nancy, égratigne Bitche et Phalsbourg, raie Metz, trace sur les frontières de petites lignes brisées, - et s'arrête...
Triomphant, Bismarck a couvert de son index l'Alsace et la Lorraine! - Oh! sous son crâne jaune, quels délires d'avare! Quels délicieux nuages de fumée répand sa pipe bienheureuse!...
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Bismarck médite. Tiens! un gros point noir semble arrêter l'index frétillant. C'est Paris.
Donc, le petit ongle mauvais, de rayer, de rayer le papier, de ci, de là, avec rage, - enfin, de s'arrêter... Le doigt reste là, moitié plié, immobile.
Paris! Paris! - Puis, le bonhomme a tant rêvé l'œil ouvert que, doucement, la somnolence s'empare de lui: son front se penche vers le papier; machinalement, le fourneau de sa pipe, échappée à ses lèvres, s'abat sur le vilain point noir...
Hi! povero! en abandonnant sa pauvre tête, son nez, le nez de M. Otto de Bismarck, s'est plongé dans le fourneau ardent... Hi! povero! va povero! dans le fourneau incandescent de la pipe... hi! povero! Son index était sur Paris!... Fini, le rêve glorieux!
*
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Il était si fin, si spirituel, si heureux, ce nez de vieux premier diplomate! - Cachez, cachez ce nez!...
Eh bien! mon cher, quand, pour partager la choucroute royale, vous rentrerez au palais [mots illisibles] avec des crimes de... dame [mots illisibles] dans l'histoire, vous porterez éternellement votre nez carbonisé entre vos yeux stupides!...
Voilà! Fallait pas rêvasser!
Jean Baudry
(Article paru dans « le Progrès des Ardennes » du 25 novembre 1870)

"Il est (...) possible que d'autres textes de Rimbaud attendent d'être découverts dans le «Progrès des Ardennes», dont la collection demeure incomplète," affirme Jean-Jacques Lefrère, spécialiste de l'oeuvre de Rimbaud, sur le site du Nouvel Obs. Décidément, ce fin jeune homme, rudement mal élevé, ce génie ivre de liberté, n'a pas fini de nous faire courir et de nous faire rêver.
Vous pouvez visionner l'exégèse du texte dans l'émission de Frédéric Taddéi, Ce soir où jamais.Mes Petites Fables