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La foi et la raison

Publié le 15 septembre 2008 par Argoul

Le Pape a l’effet du Dalaï lama : il donne un sens à la vie. Avec en plus, surtout pour les jeunes, un recours identitaire face à la multiculturalisation française, une réponse à l’Islam. Non pas pour choquer les civilisations mais pour sourcer, savoir qui ils sont, d’où ils viennent, de quelle tradition. Le Pape, ce vendredi, était très « tendance ». Il a parfaitement compris que dans la société de Cour, parisianocentrée, qu’est la France, il fallait inviter - avant la foule - les intellectuels privilégiés. A eux de répandre la bonne parole ou – ne rêvons pas – la bonne impression du personnage. Ils font l’opinion et ils en furent flattés. Les fonctionnaires du ministère de la Culture ont été débordés par les intellos oubliés qui sollicitaient, tant ils voulaient en être.benoit-xvi-2008-09-college-bernardins.1221485867.jpg

Au couvent des Bernardins, restauré sur fonds laïcs, que dit le Pape ? Il parle de racines. Notre culture commune est chrétienne avant d’être européenne. Mais seul ce que le christianisme a retenu, dans ces monastères « où survécurent les trésors de l’antique culture », est digne d’être aujourd’hui connu. Exit tout le reste, dont la fameuse Poétique d’Aristote qui célébrait le rire, que l’écrivain virtuose Umberto Eco a fait disparaître dans l’autodafé d’un moine fanatique, le Jorge du « Nom de la rose ». Sur cet exemple symbole, combien d’œuvres sont-elles passées à la trappe du fait des « croyants » ? Habile glissement papal… Ces monastiques, réfugiés entre les murs pour vivre hors du monde en chaos, cherchaient Dieu. Ils le confondaient avec « la Vie elle-même » - comme si un « autre » monde pouvait se confondre avec le monde vivant… La vraie vie serait-elle ailleurs ? « Derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif », dit Benoît XVI. Qu’est-ce donc que ce « définitif » ? La mort ? L’arrêt de tout changement ? Ce qui reviendrait à dire « de toute vie », puisque le vivant n’est qu’une lutte perpétuelle contre l’entropie, l’abandon, le non-vivant.

Non, le définitif, c’est Dieu. Qu’est-ce que Dieu ? « Etre éternel, créateur et souverain maître de l’univers », nous apprend le dictionnaire. Nous faisons exprès de sortir des litanies catéchistes dont nous avons franchi toutes les étapes enfant. « Dieu » est un concept, il n’est réel que pour ceux qui croient qu’il existe. Pour les autres, il n’est qu’un pari, une spéculation sur l’au-delà. Subtilement, le Pape dit que la foi du charbonnier ne suffit pas, mais qu’il faut arpenter la voie qui est la Parole. Elle se déploie dans les Saintes Ecritures, « offerte aux hommes ». Benoît XVI : « Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son exploration dans toutes ses dimensions. » Subtile façon de faire rentrer les sciences profanes (l’archéologie, la linguistique, l’histoire, la grammaire comparée, la dialectique) dans la religion. Et d’ajouter « la bibliothèque et l’école », très valorisées en France. Tout cela forme « communauté », mot encore une fois très « tendance » de nos jours, surtout à gauche.

La religion n’est donc pas seulement la mystique individuelle mais aussi la communauté savante et éducative. L’existence terrestre est transformée par la Parole en un « mouvement vers Lui ». Prier, c’est parler avec Dieu, chanter aussi (des chants d’église) « pour s’unir à la musique des esprits sublimes qui étaient considérés comme les auteurs de l’harmonie du cosmos, de la musique des sphères. » Cette prétention théologique à tout ramener au Créateur a quelque chose de totalitaire, que la référence immédiate à Platon ne peut que renforcer. Même si (il y a nuance), « la Bible » n’est pas dictée à un scribe comme dans la tradition musulmane, mais que « la Parole de Dieu nous parvient seulement à travers la parole humaine » - donc de façon historique, pas immédiatement perceptible, ce qui exclut toute interprétation littérale. D’où « tension entre le lien et liberté » : « l’arbitraire subjectif » et « le fanatisme fondamentaliste ».

La liberté n’est pas l’absence totale de liens, le travail manuel était par exemple un élément constitutif de la tradition des moines. La Création n’est pas achevée, « Dieu travaille » - voilà qui devrait réjouir Nicolas Sarkozy mais faire se poser des questions toutes les victimes des horreurs humaines… L’homme a été créé à la ressemblance de Dieu, et si Dieu travaille « l’homme participe à l’œuvre créatrice de Dieu dans le monde ». Il faut alors une mesure pour dire ce qui convient ou non. « Là où cette mesure vient à manquer et là où l’homme s’élève lui-même au rang de créateur déiforme, la transformation du monde peut facilement aboutir à sa destruction. » La boucle est bouclée : sans Dieu, point de salut ! Point d’homme qui se lève par lui-même pour s’instaurer en homme debout, créant la civilisation : celle-ci ne peut que lui être octroyée par la Parole des Ecritures ; s’il s’en écarte, il pèche, il entre en démesure, il veut s’égaler à Dieu – en bref, attention au sort de Sodome et Gomorrhe !

Mais Benoît le croit, Dieu est en chacun de nous, même sans le savoir. C’est ce que disait Paul, un bénin fanatique qui a fondé le christianisme tel qu’il est. Rameutant Kant et peut-être Descartes, Benoît XVI déclare qu’« au plus profond, la pensée et le sentiment humain savent de quelle manière Dieu doit exister et qu’à l’origine de toutes choses, il doit y avoir non pas l’irrationalité mais la Raison créatrice. » Donc Platon, Hegel, Marx, Mao et Pol Pot avaient raison : le souverain Bien, la loi de l’Histoire, la révélation du diamat (matérialisme dialectique dans le jargon stalinien) chacun est une Raison créatrice. L’homme ne peut rien contre elle ; elle ne peut que se réaliser dans le temps, vers ce mystérieux « point Oméga » qu’évoquait le bien oublié Teilhard de Chardin. Si tout est écrit ou dirigé par Dieu et que celui-ci « s’est révélé », nous sommant à le croire, nous n’avons plus qu’à obéir ! A quoi cela servirait-il de résister ? « Que pouvez-vous contre le soleil qui se lève ? » demandait benoîtement Staline avec son gros bon sens. Il parlait du communisme, qui est une foi laïque issue directement de Platon et de saint Paul, mais c’est bien la même chose. Alain Badiou, philosophe marxiste de Normale Sup, devenu très à la mode pour s’être interrogé « De quoi Sarkozy est-il le nom ? », rêve de l’avorton de Dieu. Il a écrit aussi tout un essai sur « Saint Paul, la fondation de l’universalisme » (PUF 1997) pour marquer son intérêt envers le fondateur de Dogme, idéologie d’Empire…

Non, Très Saint Père, je n souscris pas à votre déclaration : « une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif comme non-scientifique la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme. » Au contraire ! Sortir de l’obéissance au Père est la seule façon que tout jeune humain trouve pour devenir adulte : c’est-à-dire conscient, responsable, actif. La « raison » n’est pas la seule logique du discours (cela, c’est le sophisme) ; elle est l’instrument de l’intelligence qui est lucidité, sagacité, discernement – bien au-delà de la méthode expérimentale, instrument réduit de la science. L’humanisme n’a rien à voir avec une religion révélée, mais tout à voir avec l’intelligence de l’homme, cette faculté originale née de l’évolution qui nous permet de nous extraire de la barbarie pour fonder une civilisation. La foi existe, pour ceux qui en ont besoin ; elle est un sentimentalisme dépassé pour les vrais humanistes, ceux qui font de l’homme concret – animal politique et sur cette terre - la mesure de toute chose. Et pas dans un Idéal platonicien, ni dans un « autre » monde futur, ni dans une « communauté » tournée seulement vers la contemplation de l’ailleurs.

Benoît XVI est un Pape habile qui sait penser, mais qui ne prouve rien, s’étant malencontreusement arrêté à la foi selon l’idéalisme allemand.

Citations et photo tirés du Monde, la ponctuation fantaisiste une fois revue.


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