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Samedi dernier. Sept heures du matin. Deux heures arides à chercher à contraindre une page
blanche à se couvrir de fiévreuses et intelligentes, forcément intelligentes réflexions. Une conférence à préparer, sur le thème du Pardon. Rien, pas le moindre mot n'émergea de ces confuses
heures. Décidant de m'accorder une pause, j'allume ma télévision et je vois le visage toumenté d'Elie Wiesel. Ce fut une heure lumineuse, arrachée à l'obscurité à écouter, recevoir, accueillir
les paroles de cet homme qui dit vouloir "purifier les mots". Qui a mis longtemps à accepter de fonder une famille, parce qu'il "n'était pas convaincu que le monde méritait nos enfant". Je
l'entends prononcer cette phrase "Renoncer à témoigner, c'est renoncer à espérer".
Et je crois percevoir sous son visage
celui de mon père et de tous les parents qui ont vécu dans leur chair l'expérience du mal absolu et qui se sont trouvés dans l'impossibilité littérale devant leurs propres enfants de
"purifier les mots" pour témoigner d'une manière dicible leur voyage au pays d'une douleur absolue. Alors, ils ont fait silence. Et depuis, ces enfants de ce silence-là ont entrepris leur propre
voyage, abstraits du témoignage direct de leur parents. Amputés. Oui, amputés, parce qu'il manque un épisode dans l' histoire de vie familiale. Et que c'est autour de ce manque qu'il leur
faut tout de même créer, puis transmettre à leur tour. Et que tout manque engendre un espace à combler... Personne ne peut faire l'économie d'un pan de son histoire. Quel que soit le temps que
cela prenne, plusieurs générations parfois, mais ce silence là est d'une telle résonance qu'il appelle jusqu'au souvenir de son propre echo.