Magazine Journal intime
Depuis tout petit, la lumière ambrée du bonheur imaginaire me taraude. J'ai toujours tenté de voir par ces fenêtres la recette simple des autres pour être heureux. Ça m'a toujours réchauffé le cœur de nous y figurer, ma douce et moi, puis nos bambins, dans ce halo tiède, dans cette bulle pâle et ordinaire.
J'y suis jamais parvenu, ou alors que partiellement. Et c'est peut-être ainsi pour nous tous, membres du genre humain. Je veux dire, peut-être que là où j'ai tracé mes limites, d'autres se sont obstinés. Peut-être que toutes ces fois où la folie conjugale s'est hissée devant moi dans sa hideuse et grimaçante voilure, j'aurais dû serrer les dents et renoncer à telle racine ou telle branche, plutôt que de me retrouver à haleter par moins quarante, ployant sous ma grosse malle en direction du bus de nuit.
Je sais pas. Je sais plus. Je suis au bout d'un rouleau, et personne, aucune apparition divine, pas la moindre fée, pas le plus microbien des gnomes, pour insérer le nouveau. Je reste hagard, tout seul dans mon propre cinéma, longtemps après la dernière séance. Je bée. Bourrin. Pédaler. Ouhnk, ouhnk. Que sais-je. Rien. Que suis-je ? Lavé. Lavé de ma robe indignée. De mes peintures de guerre. Presque lavé de la traînée diaphane de mon cortège de mortes. C'est bien. Le mur s'amincit. La lumière filtre, la vraie, blanche, miroitante, cristalline ! Ce ne sont que des gouttelettes, mais elles étanchent presque ma soif de clarté.
J'ai suivi mon étoile, cette vieille et zigzaguante grognasse. Elle m'a mené jusqu'ici, c'est à dire nulle part. Et c'est plutôt bien, je suppose, d'être rien, et nulle part.
Si un jour l'harmonie se réinvitait à mes côtés, je serai comme toujours comblé à l'intérieur, et en posant les plats sur notre table, en versant l'eau dans ton verre, je songerai de temps à autres aux haillons qui passent sous les carreaux et sondent la vitre jaunâtre de leurs yeux usés. Je penserai à eux et je te prendrai contre moi, ma douce. Sans rien dire.
—© Éric McComber