Les conséquences de la crise financière des subprimes sont encore mal cernées. Quels sont les scénarii possibles ? Comment essayer de limiter les dégâts ? Je livre ici quelques réflexions très incomplètes, de simple pistes que d'autres se chargeront peut être d'étoffer.
J'ai déjà évoqué les causes multiples qui ont fini par déclencher la plus grande crise bancaire et financière depuis 1929, et j'en ai oubliées. J'ai évoqué la tutelle défaillante de deux acteurs (Fannie et Freddie) sous statut très particulier, une loi (CRA) rendant très risqué le refus de crédit à certaines catégories d'insolvables, le gonflement de l'encours de risque financier dû aux lois foncières abusives de certains états... J'aurais pu évoquer l'histoire de la réglementation bancaire aux USA et des effets cumulatifs de diverses lois promulguées puis abandonnées, comme le Glass Steagall act de 1933, la régulation des caisses d'épargne votée à cette époque, la crise des caisses d'épargne à la fin des années 80... Enfin, le système monétaire international, et le rôle des banques centrales dans l'accroissement des masses monétaires, a sans doute sa part de responsabilité, mais ce point est au delà de mes compétences actuelles.
Une fois posé le problème des responsabilités, reste la question de l'évolution possible de la crise, et des voies choisies pour tenter d'en sortir. Quoique je n'aime généralement pas jouer les Cassandre et mêler ma voix aux prophètes professionnels du malheur, les évènements récents me rendent assez pessimiste.
La crise n'est pas terminée
A chaque "sauvetage" de banque par le trésor américain, les marchés retrouvent la "pêche" pendant une ou deux séances, puis replongent, comme un drogué en manque après un shoot. A chaque fois, des analystes tous plus brillants les uns que les autres, dont AUCUN n'avait vu venir la crise actuelle, viennent vanter à quel point la FED et le trésor gèrent bien la crise, et nous expliquer doctement que "cette fois ci, c'est là dernière intervention", celle qui permet de consolider à nouveau les fondations d'un système bancaire devenu trop branlant.
Je ne partage pas du tout ce qui s'apparente à du wishful thinking.
Des pertes abyssales encore à venir
Selon le nouvel index à la mode, celui des pertes bancaires (WDCI, writedowns and capital raised Index), édité par la chaîne d'informations financières Bloomberg, les 110 plus grandes banques du monde ont dû provisionner plus de 514 milliards de dollars de dépréciations d'actifs depuis le début de la crise des Subprimes. Elles ont levé 352 Milliards pour y faire face. Et encore, c'était le 27 Août. La somme évolue chaque semaine.
Il y a 18 mois, l'économiste Nouriel Roubini était pris pour un fou lorsqu'il affirmait, presque seul, que les banques risquaient de perdre de 1000 à 2000 milliards de dollars. Aujourd'hui, nombre de ces experts s'accordent pour dire que mille milliard constitue le bas de la fourchette.
A côté de ces pertes colossales, les 250 à 300 milliards que pourraient coûter aux contribuables américains la nationalisation de Fannie Mae et Freddie Mac paraissent presque anecdotiques.
Plus graves seront les conséquences à court et moyen terme sur le crédit bancaire. Les entreprises devraient souffrir d'un accès restreint aux prêts bancaires pendant... Un certain temps, que les experts peinent à déterminer.
Le risque d'un krach systémique généralisé existe. Nouriel Roubini, l'un des rares économistes à avoir prévu l'ampleur des dégâts dès 2006, ce qui lui donne une certaine crédibilité alors qu'il était traité de fou à l'époque, estimait possible un scénario catastrophe en 12 étapes dès le mois de février 2008. Les étapes 1 et 2 se sont déjà matérialisées. La suite ? Qui sait ?
Mise à jour Lundi matin: Comme chaque dimanche désormais, une banque a été "sauvée". C'est Bank of America qui rachète Meryll Lynch, n°2 au classement WDCI avec 51 milliards de pertes. B of A avait aussi acheté Countrywide. Avec ou sans prêt fédéral ? L'info est trop fraîche pour le dire.
Que faire ?
Je ne prétends absolument pas en savoir plus que MM. Paulson ou Bernanke, qui sont indubitablement des très grands professionnels du système financier actuel, sur la façon de sortir de ce désastre ! Mais tout de même, je m'interroge sur la voie choisie, celle du sauvetage des institutions bancaires, de Fannie Mae et Freddie Mac.
Car enfin, avec un à deux mille milliards de "write downs" prévus pour l'ensemble du système bancaire, de nouvelles faillites sont probables. Affirmer qu'aucune très grosse banque ne sera touchée tient aujourd'hui plus du wishful thinking que de la certitude gravée dans le marbre. Et ni la Fed, ni le trésor américain ne semblent capables de sauver indéfiniment toutes les grosses banques de la faillite, pas plus que les réserves du Federal Deposit Insurance Corporation ne lui permettront de compenser toutes les pertes sur les comptes bancaires des ménages américains.
Bref, une faillite bancaire généralisée n'a hélas rien d'inimaginable. Ce n'est peut être pas le scénario le plus probable (sauf pour l'inévitable Nouriel Roubini, voir cette prévision concernant Lehman Bros !), mais plus personne ne peut le balayer d'un revers de la main.
D'où la question : si la grande dégringolade se produit quand même, à quoi auront servi les "sauvetages" de Fannie Mae et Freddie Mac ?
Il faut fermer Fannie et Freddie !
Il est souvent affirmé que les engagements de Fannie et Freddie les rendaient trop gros pour autoriser leur faillite, "too big to fail", selon l'expression cliché à 300 milliards que l'on lit presque à chaque article consacré au sujet. Mais en admettant que ce soit vrai, est-ce une raison pour permettre à l'activité de Fannie et Freddie de se poursuivre ?
Allons plus loin: Le trésor américain sauve des établissements bancaires avec de l'argent qu'il n' a pas, faisant porter le chapeau aux contribuables américains futurs, en augmentant la dette de l'état fédéral. Ce sacrifice demandé aux cochons de payants sera-t-il au moins compensé par la perspective d'un système assaini ? Voire.
Aux premières nouvelles, il semblerait que le gouvernement continuerait à soutenir l'activité de refinancement de Freddie Mac et Fannie Mae, avec de "simples" ajustement paramétriques et de nouvelles règles prudentielles. Les germes de la crise actuelle ne seront donc pas totalement désinfectés. En outre, le sauvetage des institutions bancaires imprudentes envoie le message suivant à leurs dirigeants: "quel que soit le degré de votre imprudence et de votre irresponsabilité, nous sommes là". En supposant que l'intervention de l'état éteigne provisoirement l'incendie, elle contribuera à en allumer d'autres.
Hank Paulson a annoncé, toutefois, que le nouveau régulateur public désigné pour Fannie et Freddie veillerait à réduire graduellement le poids des GSE dans le refinancement des prêts hypothécaires. Mais pourquoi vouloir conserver sur ce marché des acteurs parapublics ?
Selon l'économiste Arnold Kling (qui a travaillé pour Freddie Mac dans les années 80), cité par le CATO institute, l'intervention de l'état a d'une part empêché les caisses d'épargne d'être des financeurs solides et stables du marché du crédit, et d'autre part a provoqué la naissance d'un duopole bénéficiant d'avantages concurrentiels importants qui a pris la moitié du marché du refinancement des prêts hypothécaires, mettant l'ensemble du système bancaire en danger en cas de faillite. Si le marché avait pu pleinement jouer son rôle, il est probable que les acteurs de ce marché auraient été plus nombreux et que surtout aucun d'entre eux n'aurait atteint une taille critique constituant une menace pour le système en cas de comportement imprudent ou frauduleux. Il faut s'habituer, selon Kling, à ce que des établissements de crédits ou de refinancement puissent faire faillite, c'est le cycle normal de la vie économique. Mais pour celà, aucun acteur du marché ne doit, avec ou sans la bénédiction de l'état, devenir "too big to fail".
Kling et d'autres pensent que quitte à sauver ceux qui ont prêté de l'argent à Fannie et Freddie, il faut geler totalement la capacité des deux GSEs de contracter de nouveaux engagements, afin d'obliger les banques à trouver d'autres solutions pour refinancer l'argent qu'elles prêtent. Pourquoi ne pas remettre sur un pied d'égalité législatif banques et caisses d'épargnes afin que ce refinancement ne soit pas majoritairement le fait de produits financiers complexes mais provienne en grande partie d'un appel à de l'épargne stable ?
Certes, pendant quelques mois, l'accès au crédit immobilier des classes moyennes basses sera plus difficile, le temps que les banques et établissements de crédits anesthésiés par tant d'année du système "Fannie Freddie" mettent en place des mécanismes alternatifs. Mais de toute façon, la crise actuelle rend un resserrement du crédit absolument inévitable. Autant profiter de cette période pour sortir rapidement d'un système de financement du crédit sous parapluie public.
Quelles régulations demain ?
La sphère éco-politico-médiatique mondiale réclame à cor et à cri "plus de régulation de la finance internationale".
Or, ce sont les interventions passées des régulateurs publics qui ont en grande partie créées les conditions de la naissance de la crise actuelle. Dans ces conditions, ce n'est pas de plus de régulation dont nous avons besoin, mais d'un changement radical de philosophie de la régulation.
Les deux devoirs de tout entrepreneur sont, dans cet ordre,
- Ne pas faire faillite
- Faire des bénéfices
Gagner de l'argent implique de prendre des risques et d'augmenter le volume de ses transactions, mais l'obligation de ne pas faire faillite est un garde fou indispensable pour empêcher la prise de risques incontrôlée. Toute l'intervention plus ou moins récente des régulateurs publics américains a eu pour effet d'inverser la priorité entre ces deux obligations: la garantie publique supposée, appliquée à des sociétés où les dirigeants sont rarement de gros actionnaires, a incité ces dirigeants à "gagner de l'argent d'abord (et toucher les bonus qui vont avec), être prudents ensuite".
La régulation doit simplement s'assurer que les actionnaires, et surtout les petits actionnaires de ces entreprises, auront accès dans les meilleures conditions à des informations sincères sur l'état réel des finances des entreprises, et qu'aucun accord entre administrateurs ne pourra priver l'AG des actionnaires de moyens de pressions forts sur les dirigeants pour empêcher les comportements d'insider predatorship. Les artifices de comptabilité "hors bilan", et autres astuces visant à présenter des comptes outrageusement enjolivés, doivent être bannis. Ainsi les actionnaires pourront sanctionner les dirigeants jugés imprudents en vendant leurs actions ou en obtenant facilement leur tête.
La régulation doit s'abstenir d'affecter à certains acteurs du marché des objectifs politiques. Nous avons vu comment les objectifs chiffrés du HUD envers Fannie et Freddie ont entrainé une complaisance coupable des régulateurs pour permettre à ces deux institutions d'abuser des structures "hors bilan" afin de présenter des comptes volontairement peu détaillés, visant à ne pas inquiéter les investisseurs, et à continuer coûte que coûte une politique de prêts massifs aux familles peu solvables.
Les acteurs du marché bancaire doivent retrouver la plus grande liberté possible par rapport aux objectifs politique du législateur, et doivent d'abord respecter le premier commandement de l'entrepreneur, et ensuite s'atteler à se conformer au second.
Bref, la régulation doit s'attacher à garantir que le droit de propriété des plus petits investisseurs ne sera pas mis à mal par des abus de position dominante de gros actionnaires, ou experts capables d'utiliser leur science pour duper "ceux qui savent moins". Mais l'état doit s'abstenir d'aller au delà en imposant des redistributions ou des distorsions réglementaires à caractère politiques, comme par exemple le Community Reinvestment Act.
Et pour l'économie réelle ?
Dans les mois qui vont venir, l'accès des entreprises au crédit sera plus difficile. Il faut donc impérativement leur permettre d'avoir accès à plus de capital, d'une part en taxant moins leurs profits (aux USA, contrairement aux idées reçues, la "corporate tax" est parmi les plus élevées du monde, à plus de 38%), et d'autre part en s'abstenant d'écorner par des fiscalités marginales la capacité d'investissement de ceux qui gagnent assez d'argent pour devenir business angels ou apporter leurs liquidités à des fonds d'investissement en capital.
Et pour pouvoir financer ces mesures à court terme, il faut impérativement réduire les dépenses publiques ! Voilà pourquoi les choix de la nouvelle administration élue à la maison blanche en novembre 2008 seront cruciaux.
Ou bien le nouveau président, cédant à la pression politique compassionnelle, choisit d'augmenter les impôts "sur les riches", et cède aux sirènes protectionnistes "pour sauvegarder l'emploi", répétant en cela toutes les erreurs commises par Edgar Hoover en 1929. Dans ce cas, la crise des subprimes se transformera en crise longue et douloureuse dont les dommages collatéraux toucheront le monde entier.
Ou bien il prend conscience que trop d'état dans l'économie est facteur de désordre et réduit les capacités d'innovation capable de nous sortir de ce mauvais pas, et recentre l'état fédéral sur ses fonctions régaliennes en réduisant les prélèvements. Auquel cas la turbulence sera rude, mais les économies réelles trouveront les ressources nécessaires pour surmonter les conséquence de l'incurie financière que nous venons de vivre.
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