Citoyens !
J’ai découvert chez Mémoire Vive que “le cabinet du Secrétaire d’État aux affaires européennes a convié huit blogueurs au Quai d’Orsay pour échanger avec Jean-Pierre Jouyet“.
Le point le plus intéressant soulevé concerne la question de l’existence d’une opinion publique européenne, ou non. Cette question est loin d’être anecdotique, car concevoir que cette opinion existe au moins par période changerait le processus décisionnel européen.
Explication chez Publius :
Il concernait le moyen d’entraîner des débats publics européens au moment de l’adoption des directives et pas uniquement au moment de leur transcription dans les droits nationaux. L’actualité récente, de DADVSI à Edvige, a parfaitement illustré ce phénomène de décalage lié au mode même de la production législative communautaire. Jean-Pierre Jouyet a reconnu la difficulté de la tâche, précisant qu’il n’était pas toujours évident de mesurer toute la portée des directives adoptées par le Conseil. Il a rappelé le besoin de jouer avec des traditions juridiques parfois fortement divergentes d’un pays à l’autre et la difficulté à trouver un point d’équilibre entre des opinions publiques qui n’ont pas toujours des attentes similaires, comme l’a illustré la récente directive retour.
Dommage que Jean-Pierre Jouyet ne puisse penser que l’opinion européenne existe “L’Europe, c’est [pour M. Jouyet ] un regroupement de 27 pays avec des visions bien différentes sur certaines questions, à l’instar des conceptions juridiques anglo-saxonne, germanique ou française, très dissemblables”.
D’autant plus dommageable que l’équilibre démocratique repose pourtant sur 2 piliers :
- le peuple
- l’institutionnel, effectivement
Je pense très fortement qu’avoir une vision européenne trop centrée sur les gouvernements nationaux ne peut conduire qu’à 2 conséquences :
- un rejet par le citoyen national justement de toute mesure “venue d’en haut”, c’est à dire perçue comme émanant d’un ogre européen
- un divorce entre ce qui se passe entre les citoyens européens in situ et sur comment on voudrait bien les voir depuis Bruxelles. Je m’explique :
- Avec le développement de programmes comme Erasmus (1,7 million d’individus quand même depuis 1987), des solidarités horizontales entre citoyens européens opèrent et se renforcent : il y a pour certains sujets européens, au minimum débat, au maximum opinion commune et donc européenne
- De plus en plus d’échanges via les nouveaux médias entre citoyens européens s’opèrent. Les régions linguistiques sont certes un problème, tout le monde ne maitrisant pas plusieurs langues, mais néanmoins on note un activisme en anglais engageant de nombreuses discussions. On a tort de se mettre des œillères sur ces conversations.
- On est peut-être plus activement européen à l’Est ou chez les nouveaux entrants en général. L’axe Bruxelles / Strasbourg ne permet sans doute pas franchement de voir ce qui se passe sur le terrain en termes de réflexions et d’actions concrètes des citoyens aux portes de l’Europe. A force de ne pas écouter, le rêve européen risque de perdre ces bonnes volontés, voire de se les mettre à dos
Une analyse malheureusement devenue trop classique est clairement résumée chez Dominique Reynié :
“Ce n’est pas l’Union qui est critiquée par les Européens, mais les gouvernements nationaux qui, presque partout, suscitent une insatisfaction croissante. On connaît d’ailleurs la plupart des raisons de cette impopularité commune : le pouvoir d’achat, le prix de l’essence en particulier, le vieillissement démographique qui frappe notre continent et son cortège de conséquences, réforme des retraites, de l’assurance maladie, immigration, etc. Rien de très populaire donc.”
Ulrick Beck résume ainsi le mal d’Europe :
“l’Europe souffre aujourd’hui de ne pas savoir ce qu’elle est vraiment. Elle est entravée par quatre “mensonges” : le “mensonge national”, qui prône le retour à l’Etat nation et à l’intergouvernementalisme comme réponse à la mondialisation ; le “mensonge néolibéral”, qui pousse l’UE à conduire des politiques économiques non pertinentes et politiquement dangereuses ; le “mensonge technocratique”, qui fait l’impasse sur la légitimation démocratique de l’UE ; le “mensonge eurocentré”, qui isole l’Europe des turpitudes du monde extérieur et néglige le lien transatlantique.”
Ce à quoi, une des premières solutions serait de renforcer et d’institutionnaliser la société civile européenne, non pas comme seule citoyenneté de papier mais d’opinion. Et d’introduire un certain cosmopolitisme, une idée selon laquelle on pourrait être à la fois français et européen. Une identité aux multiples facettes plutôt qu’une chimère où la nation n’est plus qu’une identité régionale à l’échelle du monde.