Da Brasilians & Narrow Terence
C’est drôle. Tout le monde, depuis deux semaines, me demande, petit sourire aux lèvres, comment était le concert d’Amy Winehouse à Rock en Seine. Dans l’esprit de beaucoup (qui n’y étaient pas), l’édition 2008 se sera donc résumée à la prévisible défection de la chanteuse britannique.
À parcourir les messages incendiaires se déployant sur le blog du festival, on s’amuse plutôt de ces fans réclamant à grands cris le remboursement de leur billet. Bien entendu, on compatit… Ces gens-là ne sont arrivés que le vendredi à 22 heures, ils n’ont assisté à aucun autre concert du festival, sont restés au camping, se sont bouché les oreilles, ont fermé les yeux. D’ailleurs ils n’aiment qu’Amy Winehouse… Bien entendu...
Tricky ou le Blues Explosion auraient annulé qu’il ne me serait jamais venu à l’esprit de demander à ce qu’on me rembourse mon billet. C’est le risque dans un festival, non ? L’an dernier, d’ailleurs, le premier lapin posé par la chanteuse soul avait provoqué la venue en renfort des sautillants Fratellis. Pour ma part, j’avais largement gagné au change.
Et puis il faut être un brin naïf pour s’étonner de cette annulation dont tout le monde parlait bien en amont comme d’une éventualité plus que plausible. Surtout, se rendre dans un festival pour voir un artiste en particulier expose toujours à la déception tant les concerts y sont courts et formatés. Même REM, tête d’affiche du premier soir n’a joué qu’une heure et vingt minutes (d’ailleurs, malgré le charisme et la classe de Michael Stipe, c’était amplement suffisant). Et le Blues Explosion, programmé en fin d’après-midi le lendemain, n’a évidemment incendié la scène qu’une petite heure. On peut se désoler de cette règle imposée, mais, dans ce cas, on continue d’aller voir les artistes et les groupes dans les salles de concert. Où on se contente d’un dvd. Lui, au moins, ne nous plantera pas…
Concernant Amy Winehouse, le soufre (celui de sa vie privée – absolument absent de sa musique) fait partie du personnage ; certains (et c’est une bien mauvaise raison) l’aiment sans doute aussi pour cela. Du soufre, donc, mais pas trop quand même, hein ! Qu’il reste circonscrit aux pages de Closer ou de Voici. Surtout ne pas en pâtir directement. Le fan est avant tout un consommateur. D’ailleurs, le disque d’Amy passe très bien pendant qu’on dîne tranquillement entre amis. Du joli papier peint sonore, bien coupé, bien ouvragé. Alors rock’n’roll, l’icône, mais pas trop. L’important, c’est qu’Amy nous file le frisson trash mais qu’elle honore quand même ses contrats…
Tout ça pour dire que si elle était venue, j’aurais regardé le concert de loin, le cul dans l’herbe et par écrans interposés. Tout simplement, par défaut, parce que je n’avais pas plus que cela envie de revoir le simulacre live de Justice programmé au même moment…
Le plus réjouissant, finalement, c’est que son absence a permis aux Raconteurs de venir jouer un généreux rappel de trois titres. Et comme c’était vraiment l’un des meilleurs concerts du festival, je remercie chaleureusement Amy de ce beau cadeau. Si le premier disque des Raconteurs (ne valant ni ceux des White Stripes ni ceux de Brendan Benson) m’avait déçu, Consoler of the Lonely, paru récemment, m’a totalement fait réviser mon jugement. Sur ce disque synthétisant en quelques morceaux la décennie seventies – la plus enthousiasmante de l’histoire du rock’n’roll – l’alchimie entre les deux chanteurs a enfin trouvé sa juste mesure. Et cela s’est traduit sur scène par un set ébouriffant bien moins parasité par l’esbroufe guitaristique de Jack White que lors de leur première prestation à Saint-Cloud en 2006.
La veille, à la même heure, Tricky, arrimé à son micro comme à un mât pendant la tempête, livra une prestation aussi fascinante que paradoxale. Paradoxale car, comme sur ses disques, Tricky chante peu, laissant souvent la place à une chanteuse qui n’est pas la même d’un disque à l’autre. À lui, les murmures rauques, les backing vocals inquiétants, les embardées furibardes. Et cette présence intense, cette posture animale qui bouffe toute la scène, qui fait de lui – agité de spasmes, littéralement habité – le réceptacle d’une musique sexuelle et tripante s’insinuant en nous par tous les pores de notre peau. Pas le plus aimable, certes, mais le plus puissant de tous les concerts vus à Rock en Seine.
Dans un registre plus doux, on se sera laissé bercer par Da Brasilians, orfèvres d’une sunshine pop toute en voix et harmonies évoquant tant The Thrills que Tahiti 80. Et tandis que l’on se surprenait à trouver The Dø assez emballants sur scène (beaucoup plus électriques que sur disque en tout cas, avec ici un batteur impulsant un groove impeccable), on restait encore plus scotchés devant Narrow Terence et leur rock fait de bric et de broc. Je n’avais jamais entendu parler de ce groupe français architecte d’ambiances entêtantes, dont les membres ne cessent de s’échanger leurs instruments. J’ai très envie désormais d’en écouter les disques.
Rock en Seine en 2008, ce fut aussi les tubes très efficaces de Kaiser Chiefs, une amoureuse bondissante, le démentiel et jouissif medley rock de The Roots entamé par Sweet Child of Mine, l’ennui face à These New Puritans ou Dirty Pretty Things, une petite fille aux couleurs d’Amy qui a dû être très déçue, le risible décorum d’Apocalyptica (des reprises de Metallica au violoncelle, de l’easy-listening pour métalleux), des tee-shirts Justice en-veux-tu-en-voilà et toujours pas d’acouphènes.