"Je me souviens d'un vaste volume, avec différents niveaux. Depuis l'entrée, il fallait descendre dans le salon, une longue frise de Miro dominait l'entrée. On était tout de suite frappé par la sobriété des volumes, la pureté des matériaux. Le génie d'Ellenberger est de suivre les courbes de terrain, sans fioriture superflue, avec une grande intelligence du matériau local et du paysage. Pour la couverture du toit à deux pans, en très légère pente, Ellenberger avait choisi la pierre d'une carrière de Saint-Nicolas, dans le Haut-Valais. Le salon s'ouvrait par une large baie sur le Weisshorn, sans que rien ne vienne gêner la vue. C'était avant que d'énormes constructions ferment le paysage." Depuis quelques années, écrit Véronique Ribordy, ce patrimoine architectural subit une double menace.
Menace que Le Nouvelliste décrit ainsi:
Celle de la pression économique pèse lourd sur la balance. L'augmentation du prix du terrain et la spéculation immobilière entraînent destructions et constructions intensives dans des zones jusqu'alors épargnées. A Plans-Mayens, l'hôtel du Mont-Blanc, 17 chambres, trois étoiles, a été démoli pour faire la place à un «hôtel de très grand luxe de 12 chambres» et d'un appart'hôtel. Toujours à Plans-Mayens, le chalet Talanti, construit dans les années 60, a été rasé au début des années 2000 et remplacé par un grand ensemble richement décoré.
Car la deuxième menace vient de l'engouement pour des bâtiments plus en accord avec ce que l'on pourrait appeler «l'imagerie alpine», bâtiments aux nombreux toits à deux pans marqués, aux innombrables balcons, décrochements et ornements. Ces bâtiments hybrides, entre souvenirs tyroliens et décors de théâtre (dérive finalement normale pour des lieux voués aux loisirs et au divertissement), correspondraient à la fois au goût des acheteurs et à celui des promoteurs. La préservation des architectures modernes de montagne devient dès lors mission impossible. Quelques institutions, associations ou chercheurs tentent d'attirer l'attention sur les qualités de ces architectures modernes, ou sur celles, pas très éloignées, d'une architecture traditionnelle, vernaculaire.
A Crans-Montana, Pierre Ducrey, mais aussi l'historienne de l'art Sylvie Doriot font un remarquable et discret travail de fond en rassemblant et publiant des informations sur le patrimoine culturel de la station. Sur le plan valaisan, le service des monuments historiques a intégré la tour Super Crans d'Ellenberger aux journées du patrimoine qui se déroulent ce week-end. L'idée n'a rien de saugrenu. Ellenberger a en effet sauvegardé le patrimoine naturel en rassemblant soixante-huit appartements sur seize étages, au lieu des quinze immeubles prévus au départ par les promoteurs. Cette tour, qui présente un maximum d'efficacité dans la fonction et d'élégance dans la forme, ce «phare», signé d'un architecte réputé, aurait pu devenir l'orgueil de la station. Or, la tour Super-Crans n'a jamais été aussi décriée que quarante ans après sa construction.
- Source: Le Nouvelliste, article intégral ici