Dans son discours adressé aux jeunes sur le parvis de Notre-Dame, Benoît XVI s'en est pris aux " dangers " que représenteraient de " pseudo sagesses religieuses ou philosophiques, la superficialité de la foi et la morale dissolue ". Pour illustrer son propos, le Pape s'est référé à la première épître de Paul aux Corinthiens. Autant Jean-Paul II, en pasteur, avait l'habitude de s'exprimer de manière directe, voire abrupte, autant, avec Benoît XVI, théologien avant tout, il convient de lire entre les lignes.
Le Pape n'a sans doute pas fortuitement choisi Paul de Tarse, en dehors même de tout jubilée. La référence à la première épître aux Corinthiens n'est pas non plus due au hasard. Ce texte compte parmi les plus cités, dans leurs sermons, par les évangéliques américains et les catholiques dès qu'il est question de morale, singulièrement de morale sexuelle et d'abstinence. Car, si Paul manifeste une obsession contre la sexualité, au point d'insister sur cette question dans la moitié de ses lettres, c'est dans la première aux Corinthiens qu'il se montre le plus explicite et le plus intransigeant. La condamnation de la " fornication " est prononcée dans 1 Cor 6, 12-20, l'exhortation à la virginité et au célibat est développée tout le long du chapitre 7, dans lequel Paul ne définit le mariage que comme une " concession ". C'est aussi dans cette épître que Paul définit la soumission de la femme à l'homme (1 Cor 11, 3-10), l'obligation qu'il lui impose de porter le voile pour prier (1 Cor 11, 3-16), et l'interdiction d'enseigner (1 Cor 14, 34-35). On peine à trouver dans les Evangiles une parole du Christ hostile à la sexualité, en dehors de deux versets moralisateurs de Matthieu (5, 27-28), étrangement absents du récit du Sermon sur la montagne chez Luc et dont on ne trouve aucune trace chez Marc, ce qui pose question quant à son authenticité. C'est donc à Paul de Tarse que l'on doit cette prise de position inédite.
Tertullien, puis Augustin d'Hippone reprendront à leur compte la diabolisation
de la sexualité (liée, pour ce dernier, au péché originel, alors que rien, dans la Genèse, n'autorisait cette interprétation), suivis par de nombreux théologiens médiévaux. Robert de Sorbon dira même que la lèpre, qui terrorisait les populations au XIIIe siècle, se transmettait lors de rapports sexuels et que la femme (naturellement...), même saine, pouvait être à l'origine de cette transmission.Dans un roman hilarant, écrit dans une langue des plus pures, Jules Romains se livra à une critique subtile de cette position de l'Eglise. Chacun pourra lire Les Copains (Gallimard, collection Folio, 154 pages, 3,60 €) avec une réelle délectation.
Cet ouvrage publié en 1913 raconte l'histoire de plusieurs amis facétieux qui décident de mettre au point une série de canulars et de supercheries dans le but de réveiller Issoire et Ambert, deux petites villes auvergnates où ils s'ennuyaient. Dans le chapitre intitulé " Le rut d'Ambert ", Bénin - l'un des copains - déguisé en Père Lathuile (clin d'œil à Edouard Manet), prédicateur venu de Rome, parvient à se faire inviter par le prêtre de la paroisse pour prononcer un sermon au cours de la messe dominicale. Le texte de ce sermon est un véritable morceau d'anthologie. Toutefois, l'humour qu'y développe Jules Romains critiquant l'idéal de chasteté imposé par l'Eglise reposait sur une réalité historique qui montre qu'en son sein, le sujet avait été objet de désaccords. Julien d'Eclane, évêque et théologien disciple de Pélage, contesta en effet la conception du péché originel d'Augustin et la diabolisation de la sexualité avec des arguments proches de ceux employés par Jules Romains. Malheureusement, Augustin l'emporta dans cette querelle et Julien d'Eclane paya d'excommunication son ouverture d'esprit.
Le texte de l'auteur du Docteur Knock mérite d'être cité presque in-extenso, tant il assure un moment réjouissant de lecture :
Mes frères, Notre seigneur Jésus-Christ a dit quelque part : " Que ceux qui savent comprendre, comprennent. " Paroles mystérieuses ! Paroles inquiétantes ! Depuis dix-neuf siècles que la science des docteurs s'applique à pénétrer les divins préceptes, ils nous sont devenus familiers par la lettre, sans que nous soyons en droit de dire qu'ils ne nous demeurent pas étrangers par l'esprit. Oui, mes frères, il est temps de dénoncer cette hérésie ; il est temps de réagir contre cette fausse morale, où semble revivre la frénésie de Calvin, et où je subodore l'esprit de Satan. Car, fecit qui prodest. Qui plus que Satan trouve intérêt à contrarier les desseins et à compromettre l'œuvre de Dieu ? Dieu a créé l'homme et la femme. Il les a pourvus des organes nécessaires à l'accomplissement des vues qu'il a sur l'humanité. S'il y a joint le besoin instinctif de s'en servir, l'aptitude naturelle à en tirer toutes les ressources, les vives jouissances qui naissent de leur usage, et qui, loin de s'émousser, s'accroissent par la répétition ; c'est qu'il a proportionné les moyens à l'importance du but, et qu'il n'a rien épargné pour le succès.Les cinéphiles pourront chercher l'adaptation du livre par Yves Robert (pour laquelle Georges Brassens composa Les Copains d'abord). Dans Les Copains, Philippe Noiret campe un Père Lathuile plus vrai que nature.
Illustrations : Benoît XVI, timbre - Augustin d'Hippone, gravure - Philippe Noiret en Père Lathuile. P.S. Je remercie la lectrice qui m'a fait rendre à Jules Romains le "s" qui lui appartenait et qui était resté sur le clavier...
À propos de T.Savatier
Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008