Article paru
dans le journal Agoravox (1 million de lecteurs uniques par mois)
dans la revue d'architecture Cyberarchi
dans le journal Wikio
sur le journal CENT PAPIERS Quebec.
A partir du 8 mars 2007, le Pavillon de l’Arsenal présente la genèse du bâtiment conçu par l’architecte Frank Gehry pour la Fondation Louis Vuitton pour la création, situé en bordure du jardin d’acclimatation dans le XVIe arrondissement de Paris.
Voici une belle et tellement vivante exposition dans ce domaine si austère de l'architecture qu'il nous faut absolument vous en parler. Car ici le travail profond de la création architecturale est rendu visible aux yeux et presque palpable tant ces grandes maquettes de la fondation sont bavardes, et nous disent tout ce dont l'architecte lui-même ne nous a jamais parlé même dans le film récent dont il a été le sujet. On y comprend là mieux que dans un quelconque discours, ce qu'est vraiment un architecte qui mérite son nom.
Il est passionnant de suivre, jusqu'à presque pouvoir toucher, la
recherche de l'architecte pour ainsi dire en action. La métaphore de
l'édifice comme chrysalide de verre, image évidente sur le projet
définitif, n'est dans son atelier qu'une hypothèse voisinant avec
d'autres. La fondation aurait put être aussi ce massif de grands
minéraux de quartz, ou encore cet iceberg fondant de façon très
improbable dans le jardin d'acclimatation. À chaque fois, de grandes
séries d'études traduisent son ardeur à tout explorer.
Le travail y est autant intérieur qu'extérieur, car à notre étonnement (honteux mais avouons-le), cette fondation Vuitton n'est pas qu'une grande sculpture faite principalement pour sa silhouette extérieure et dont l'architecture s'arrête à l'entrée, mais à bien fait l'objet d'une investigation bien représentée dans l'exposition, des espaces intérieurs à parcourir, du cheminement du visiteur, des vues, c'est une véritable architecture. Certaines maquettes sont précises, d'autres non. Elles peuvent n'être que des assemblages maladroits de quelques morceaux épars de plastique et de carton, ou au contraire représenter des cotes de niveaux, sens d'ouverture des portes, personnages, arbres, escalier et jusqu'au camion semi-remorque desservant la fondation.
Un instant particulièrement émouvant est la longue séquence d'études inutiles de l'architecte qui s'est endormi à refaire les beaux effets de torches de métal et de verre qui ont fait sa gloire à Bilbao. De nombreuses recherches se succèdent mais il les abandonnera toutes, car nous le disons encore une fois, Gehry ne se répète jamais.
À un moment pourtant, certaines maquettes de la seule enveloppe portée par des poteaux de métal reprennent l'image de son immeuble de logements qu'il a construit à Prague, "la maison qui danse", thème qui visiblement hante l'architecte et qu'il a photographié ici comme s'il avait voulu se vérifier ou se faire plaisir. Là encore évidemment, par la dure exigence du créateur éliminant tout ce qu'il a déjà fait, il ne restera rien de cette image sur l'édifice définitif puisqu'elle a été déjà construite par lui ailleurs, mais nous avons été heureux de la voir traverser un instant comme un ange le ciel de son imaginaire (et du nôtre).
Et tant de mises en lumière des maquettes, de vues intérieurs, de
textures, de couleurs, de volumes, d'échelles différentes dont il
faudrait longuement parler. Quelle énergie! La cinquantaine de
maquettes en témoignent totalement. Certaines (les premières) sont
uniquement constituées de morceaux de plastiques plans, anguleux,
rébarbatifs et laids comme si l'architecte cherchait avant de laisser
filer son imaginaire, à trouver l'ossature de sa réflexion.
Parmi les vidéos, il faut regarder celle impressionnante (quoique trop petite) montrant de nuit les lumières extraordinaires que vont créer les reflets des mouvements d'eau d'un grand bassin sous l'ensemble de la fondation. Celle-ci va donc pulser, respirer, vivre vraiment de par l'organisme intérieur que l'on entr'apercevra depuis l'extérieur. Espérons que Gehry ne va pas céder à cette mode du moment de faire varier les couleurs des projecteurs (rouge, bleu, vert, jaune) et qui transforme inéluctablement le plus bel édifice en un ridicule sapin de noël.
Nous ne parlerons pas de son travail sur la végétation que l'architecte a prévu autant sur le toît de son édifice qu'à ses abords, et qui montre assez la touchante attention qu'il a porté à la nature pour intégrer réellement la fondation dans le parc.
Vous avez compris que nous ne partageons pas un instant l'opinion de Marie-Douce Albert du Figaro voyant entre les maquettes "d'infimes (variations), presque imperceptibles" ou encore Frédéric Edelmann dans Le Monde les trouvant "un peu piteuses, un peu ludiques". C'est tout le contraire! Chacune est une surprise. Chacune est un édifice en elle-même. Chacune semble pouvoir faire une nouvelle architecture. Gageons que nous retrouverons des idées non abouties mais présentées ici dans de futures réalisations de Gehry. En tout cas nous le souhaitons car certaines trouvailles sont tellement belles qu'il serait dommage de ne pas les développer et les construire. Cette exposition est impressionnante si l'on s'attache à regarder, non pas tant ce que chaque maquette montre, mais plutôt ce qu'il y a entre chacune d'elles, et découvrir pourquoi elles ont été modifiées. Chaque étude exposée est supérieure à la précédente et l'on se dit: Il a eu raison de la recommencer! Seulement voilà, il est facile de parler rétrospectivement d'évidence quand la solution est trouvée. Beaucoup plus difficile de chercher par soi-même sans aide. Car on peut regarder un stade de sa recherche pendant des heures sans arriver à imaginer dans quelle direction va partir l'étude suivante; là réside le talent. A notre avis, les deux rédacteurs du Monde et du Figaro ont dû regarder l'exposition pendant le vernissage. C'est louable mais ce n'est pas fait pour cela un vernissage...
Coste-Orbach architectes