Le 12 septembre 1940 quatre jeunes garçons, Marcel Ravidat, Jacques Marsal, Jojo Agnel et Simon Coencas se lancent dans l’exploration du « trou », sis sur « la colline du petit domaine où se dressait le manoir de Lascaux ».
IL EST UN STYLE LASCAUX
Il est un style Lascaux. On le connaît bien depuis les travaux d’André Leroi-Gourhan. Des bêtes au corps ballonné, à la tête petite, au pelage souvent indiqué, aux membres courts et animés : voilà les éléments majeurs de leur portrait-robot. On ne pourrait, en les superposant, faire coïncider le gabarit d’un animal de Lascaux avec la silhouette de son modèle vivant. Qui plus est, les dimensions perspectives des diverses espèces ne sont pas ici conservées et varient d’une figure à l’autre.
Mais il y a plus déroutant encore. La recherche non de la vérité, mais du tracé anatomique le plus explicite, celle aussi d’un bon rendu des volumes ont conduit l’artiste à inventer une perspective originale. Artificielle mais convaincante. Et la position, sur la paroi, de chacun de ces animaux ― par rapport à la topographie de la caverne, aux limites et aux accidents des panneaux, au sol naturel ou fictif, aux animaux voisins ―, n’est pas aléatoire : témoin d’un choix délibéré, d’une syntaxe dont l’essentiel nous échappe encore.
Au début : le rocher nu. Lascaux n’est pas une exposition de tableaux animaliers accrochés aux cimaises. Lascaux est un sanctuaire organisé où peintures et gravures s’intègrent parfaitement à leur support rocheux. La caverne choisie n’est-elle pas, d’emblée, une des plus belles, sinon la plus belle, de cette vallée de la Vézère qui en compte de nombreuses ?
Et pour cause : une couche de marne imperméable, au-dessus d’elle, a empêché la formation de stalactites et de coulées stalagmitiques. Les peintures ornent habituellement les panneaux immaculés, couverts de rugueux cristaux de calcite (SDT, DA et jadis P), laquelle a peu progressé depuis le Magdalénien (fond du DA) ; les gravures et les gravures-peintures occupent les autres surfaces, où le calcaire, ocre et granuleux, est à nu. Ces murs sont demeurés presque intacts. Quelques écailles rocheuses ont desquamé, parfois avant la venue des peintres, plus rarement après leur départ ; les parois du Passage, usées par l’action des lents courants d’air, ne conservent plus guère que des gravures nichées dans de petites conques et les vestiges évanescents de grands animaux peints.
Les dimensions des panneaux ne sont point sans limites. Leur forme et leur surface en conditionnent l’ordonnance graphique : des frises s’allongent le long des couloirs (DA, P, N, PS, DF), se déploient autour de la demi-rotonde de la salle des Taureaux, tournent autour de la coupole de l’Abside. Des accidents rocheux forment un cadre naturel à certains ensembles : petites conques portant les gravures du Passage, alvéoles plus larges du panneau de l’Empreinte ou des bisons croupe à croupe, dièdre rocheux sur lequel s’enroule le Cheval renversé. Parfois même la limite du panneau a contraint l’artiste, faute de place, à tasser ici le dos d’un bison, là, un peu, celui d’un cheval. D’autres reliefs ont été utilisés parfois et font désormais partie de la silhouette animale : une écaille forme le dos du cheval 1é et la gorge du 43, un petit trou est devenu l’œil de leur congénère 33 ; des rotondités soulignent un segment du contour d’un des cerfs 11, la tête et la croupe du petit ours 17, et peut-être la croupe du bison 14 ; une plaque d’argile, plus foncée que le rocher, donne sa couleur au corps du bison 52 bis.
En outre, tous ces panneaux n’étaient pas parfaitement accessibles pour les artistes. Cette difficulté d’accès explique sans doute le caractère un peu rudimentaire, rapide, de certains tracés : 52 bis au fond du Puits, 64 nécessitant une escalade, gravures de petit format de l’étroit Diverticule des Félins.
Une dernière limite tient à l’homme même : le champ manuel. L’artiste demeurant immobile, sa main décrit, en effet, un champ circulaire d’environ un mètre de diamètre. Les gravures sont à cette échelle. Tout comme certaines peintures (11, 16, 30, 36, 37-39, 41, 52 bis, 56 bis, 57-61, chevaux de 63, 64). Mais la plupart des animaux peints sont bien plus imposants (jusqu’à 5,50 mètres de long pour le taureau 18) et ont nécessité le déplacement, pas toujours aisé, du peintre devant la paroi.
Le sol imaginaire. Le sol sur lequel évoluent les bêtes de Lascaux n’est jamais explicitement matérialisé par un trait peint ou gravé. Pourtant il est presque toujours présent : une corniche naturelle (ou parfois quelques reliefs secondaires : 28, 40, 42-45) en tient lieu. Elle court le long des surfaces accidentées et sombres, plus basses, qui ne portent que de rares figures peintes (27, 33, 34, 52 bis, 65, parois de l’Abside) ou gravées, dont les traits clairs tranchent alors sur l’obscurité du fond (« main courante » de l’Abside). Sur ce sol ainsi matérialisé, ou même parfois totalement imaginaire, stationnent ou s’animent les animaux, debout, le corps horizontal ou parfois un peu oblique (26, 28,42, 45, 63 droite, 64 N1). Le Cheval renversé (31), au fond du Puits, sont les deux seules exceptions, assurément volontaires. Quelques peintures (22-24) et des gravures (P, A, DF) décorent des voûtes ou la partie haute, plafonnante, des parois : sans sol, certains animaux paraissent alors un peu « flotter », au hasard, dans l’espace.
Tout un bestiaire à mettre en scène. Au sein même de chaque panneau, les animaux ne sont pas placés dans le désordre, juxtaposés ou superposés au gré de l’inspiration de l’artiste. Des arrangements sont patents. Un thème fréquent est l’association d’un grand bovidé (taureau, vache ou bison) et d’une file de petits chevaux, en troupeau, marchant pour la plupart en sens inverse (1-13, 35-41,42-45, 57-62, 63). Mais l’ordonnance d’autres figures, en symétrie, ne nous paraît pas relever de modèles naturels : ainsi les deux groupes d’aurochs et de chevaux s’opposant dans la Rotonde, la rosace plafonnante groupant les têtes des vaches 23, 24 et 44, le taureau 26 et le cheval 28 s’éloignant l’un de l’autre (chacun vers un signe ramifié) l’hémione 27 et son vis-à-vis, le cheval 61 et le bison 62 aux croupes superposées.
A dire vrai, en dehors des affrontements et des troupeaux, nous ne savons pas lire les liens unissant tous les éléments de ce bestiaire. L’art pariétal paléolithique paraît ignorer le récit et
l’anecdote…
Mario Ruspoli, Lascaux, Un nouveau regard, Bordas, 1986, pp. 162-163- 164. Préface d’Yves Coppens.
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